24 juillet 1832 : Lettre de Franà§ois-Charles à  Saveuse

Résumé de la lettre

Franà§ois-Charles écrit à  son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu, habitant au Canada. Il a appris par les journaux qu’une épidémie de choléra sévissait à  Montréal et à  Québec et s’inquiète du sort de sa famille. Il revient ensuite sur ses difficultés financières et le calcul du remboursement de l'avance que son frère lui a fait sur sa pension.

Mots clés

Organisation sociale, activités économiques, réalités politiques, maladie

Transcription


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Lettre du 24 juillet 1832, page 1

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24 juillet 1832

J’apprends, mon cher frère, par la voie de gazettes,
que l’affreux choléra s’est fait sentir à  Quebec[1] ainsi
quâ€™à  Montréal[2]. Tu ne dois pas douter, mon ami,
de l’effet que cette nouvelle a d໠produire sur mon
ame? Eh, pourrait-elle àªtre paisible, quand des parens
qui me sont chers, se trouvent livrés à  la désolante
influence d’un pareil fléau[3]! C’est aussi (je te l’avoue)
à  cette vive inquietude, que cède à  la résolution que j’avais
prise de ne t’écrire quâ€™à  l’heureuse époque o๠j’aurai
rempli mes engagemens avec toi[4]; mais en me soumettant
aux sentimens que je t’ai toujours portés; j’aime
à  penser que tu voudras bien y répondre, en m’apprenant
que la providence vous a tous conservés à  ma constante
amitié[5].

Je laisse aux papiers publics à  te faire la tableau de notre
malheureuse France; il me faudrait un volume pour te
détailler les cruels évàªnemens qu’elle éprouve depuis deux ans;
les dissensions intestines, la faux aigue du choléra, la misère
la plus générale, l’Europe qui s’appràªte, une seconde fois,
à  fondre sur elle; tel est dis-je l’affreux abyme creusé
devant elle, et que Dieu seul peut combler[6]! Aussi, mon
ami, que d’innocentes victimes de cette fatalle révolution!
Ton pauvre frère, tu le sais, les a toutes payées bien
cher! Je comptais, un moment, sur les indemnités


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Lettre du 24 juillet 1832, page 2

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des colons de St Domingue; elles ne sont plus
aujourd’huy qu’un ràªve pour moi[7]. Ma femme s’est
vue dépouiller de sa faible pension alimentaire[8],
et si Dieu disposait de mes jours; elle n’aurait,
dans sa vieillesse, quâ€™à  tendre la main. Ce n’est pas,
il est vrai, huit cent francs[9] qui composent aujourd’huy
notre triste éxistence, qui peuvent offrir quelques douceurs
à  nos vieux ans; mais au moins le pain que mon
excèllente compagne partage avec moi; est son bien.
Je me tais et, tire le rideau; que la volonté de Dieu
soit faite!

Adieu, mon ami, que la providence
veille sur toi, sur les tiens, et vous préserve a jamais
de semblables malheurs. Ma femme vous offre
à  tous, l’assurance de sa constante amitié.

Je t’embrasse de toute mon à¢me,

Ton frère

Le Cte de Beaujeu.

Chamant près Senlis le 24 juillet 1832.

P.S. Permets-moi, mon ami, une réflexion sur ta dernière lettre
datée du deux mars 1831. Il paraà®trait d’après son contenu,
que tu ne pensais pas à  cette époque, me devoir une année de
ma pension, ce qui est cependant de toute vérité, et très facile à 
vérifier. D’après mon calcule tu dois avoir été remboursé
au mois de mars 1832, de la somme de deux mille quatre cents livres[10].


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Lettre du 24 juillet 1832, page 3

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Réponds moi à  ce sujet, tu dois bien penser que d’après
mon affreuse position, il me serait pénible de me voir
reculé d’une année, dans le payement que je te dois sur la somme
de £166X cours d’Halifax, que tu m’as avancée, et dont il ne
m’est pas resté un dénier, ayant distribué la totalité à  mes
créanciers.

X dont je n’ai reà§u de Mr Logan que
£ 140[11].


P03/A.278, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le

Notes

  1. Le choléra est une maladie gastro-intestinale dont l'évolution est très rapide, une victime pouvant àªtre emportée en vingt-quatre heures. La contamination est orale, d’origine fécale, et se fait par l’eau de boisson ou les aliments souillés. Au Canada, cette première épidémie de choléra, aussi connue sous le nom de choléra asiatique ou choléra morbus, fit ses ravages de juin à  septembre 1832. Malgré les précautions prises pour éviter son entrée sur le continent, soit la création de la station de quarantaine du port de Québec à  Grosse-Ile dans le fleuve St-Laurent, en aval de Québec, le choléra fit ses premières victimes à  Québec et s'étendit dans toute la province. à€ Québec, la maladie emporta plus de 3 000 personnes.
  2. Quant à  Montréal, l'épidémie y prit des proportions monstrueuses et plus de 4 420 cas de choléra furent diagnostiqués. En un seul jour à  Montréal, soit le 19 juin, on enterra plus de 149 personnes dont Saveuse.
  3. C'était la deuxième pandémie de choléra (1826-1841) recensée. Elle avait fait son apparition aux Indes, gagné Moscou en 1830, Berlin en 1831, pour finalement atteindre les à®les Britanniques en février et la France en mars 1832 avant d'atteindre l'Amérique en juin 1832.
  4. C'est-à -dire quand l'avance que Saveuse avait fait à  Franà§ois-Charles serait remboursée.
  5. Saveuse ne lira jamais cette lettre puisqu’il est mort du choléra à  Montréal, le 19 juin 1832. Il fut inhumé le màªme jour dans le cimetière St-Antoine qui n'existe plus aujourd'hui. Ce cimetière fut transféré à  Notre Dame des Neiges mais il nous est impossible de savoir si le corps de Saveuse fut transféré dans le nouveau cimetière ( du moins son nom ne se trouve pas dans la banque de données de Notre Dame des Neiges). Une stèle funéraire avait cependant été érigée dans le cimetière St-Antoine en mémoire de Saveuse et cette plaque fut transférée dans le nouveau cimetière. Une stèle identique, sinon la màªme, se trouve aujourd'hui dans le mausolée des de Beaujeu au cimetière de la paroisse de Coteau-du-Lac.
  6. à€ cette époque, l'Europe est aux prises avec de grands changements amenant au pouvoir nationalistes et libéraux, ce que réprouve Franà§ois-Charles. Il y voit un danger sans fin, un abà®me.
  7. Les indemnités versées aux colons spoliés ont été réduites à  90 millions sur un montant initial de 150 millions. Les personnes ayant droit à  ces indemnités sont tellement nombreuses et le temps que prendra Haà¯ti pour rembourser la dette fait en sorte que Franà§ois-Charles a perdu espoir de récupérer un montant appréciable de ces indemnités.
  8. Rappelons que Louise Bénédicte s'est vue dépouillée de ses pensions de 600 et de 400 francs.
  9. Dans la lettre du 27 mai 1831, Franà§ois-Charles explique avoir maintenant un revenu annuel de 1 200 francs : il lui en coà»te 400 francs pour se loger et il lui reste seulement 800 francs pour vivre.
  10. Franà§ois-Charles prétend que sa pension de l'année 1831 ne lui a pas été payée et qu'elle n'était pas comprise dans le montant de 4 000 francs que Saveuse lui avait envoyé. Donc, pour lui, le remboursement de sa dette a commencé en 1831 d'un montant de 1 200 francs puis un autre de 1 200 francs l'année suivante. Selon les calculs de FC, le reste de sa dette serait de 1 600 francs. Il nous est difficile de vérifier mais nous savons que pour l'année 1829, Saveuse a remis à  FC un montant de 1 200 francs lors de son voyage en France. Ensuite, pour l'année 1830, un montant de 1 900 francs lui a été remis par Thavenet, montant qui est supérieur aux 1 200 francs qu'il reà§oit habituellement. Puis viennent le 4 000 francs de 1831. Enfin, pas de pension en 1832. Qui dit vrai ? En plus, la problématique des conversions de monnaie donne lieu à  des mésententes.
  11. Voir aussi la lettre du 27 mai 1831 pour l'explication sur les versements de 140 et de 166 livres.
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