Le premier article de cette rubrique portait sur 2 témoignages présentés par Jean-Baptiste Proulx dans la préface de L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet, soit le témoignage d’Hyacinthe Cholette et son épouse, les parents de Pierre et Toussaint Cholet, ainsi que le témoignage de Marie-Rose Roby, la mère de Pierre Doucet1. Les 2 témoignages de la préface étaient trafiqués et différaient des originaux notamment quant à la date de disparition des enfants Cholet et Doucet dans la cà´te Ste-Marie de St-Polycarpe. Un entrefilet, publié dans La Minerve du 20 juillet 1846 par le notaire Joseph Meilleur, prouvait que la date de disparition des enfants était le mardi 7 juillet 1846 et non pas le vendredi 7 juillet 1845 2.
Nous poursuivons la démonstration qu’il y a tout lieu de penser que Jean-Baptiste Proulx et Pierre Cholet ont produit un récit invraisemblable qui relève de l’imposture. Nous présentons dans ce 2e article 4 autres témoignages de la préface de Proulx de 1887 afin de les comparer avec les témoignages originaux trouvés dans le fonds P107 - Fonds Séminaire de Ste-Thérèse-de-Blainville. - 1719-1971 de BAnQ, Centre d’archives de Montréal.
Il s’agit probablement d’Honoré Lauzon, né le 29 septembre 1821 dans la paroisse St-Joseph-de-Soulanges (Les Cèdres)3. Lauzon ne sait pas écrire puisqu’il déclare ne pas savoir signer lors de son mariage. Il ne signe pas non plus dans le registre de St-Polycarpe lors des baptàªmes de ses enfants entre 1853 et 18764. Il nous est impossible pour l’instant de savoir s’il a appris à écrire ou à signer avant la date de son témoignage. Une recherche plus approfondie nous le dira peut-àªtre, mais assurément ce n’est pas le témoin Honoré Lauzon qui signe le témoignage.
La grand-mère paternelle d’Honoré Lauzon est Scholastique Cholette. Les Lauzon de Les Cèdres et de St-Polycarpe sont apparentés à Adeline Lauzon, la mère de Jean-Baptiste Proulx5. Ces liens de parenté étaient peut-àªtre connus de l’abbé Proulx. La recherche généalogique faisait partie des tà¢ches d’un curé lorsque venait le temps de faire des enquàªtes de mariage pour accorder des dispenses de mariage ou des consentements. D’ailleurs, dans le fonds P107 conservé à BAnQ, on trouve un extrait de baptàªme et de confirmation d’Anna Herd, l’épouse de Sébastien Cholet dit Laviolette, l’ancàªtre des Cholette d’Amérique6. Il est permis de penser, mais sans preuve documentaire à l’appui, que l’auteur et son héros ont discuté des liens parentaux qui unissaient leurs 2 familles.
Selon le témoignage présenté par Proulx dans sa préface, Lauzon, à¢gé de 66 ans en 1887, certifie et soussigne que c’est au mois de juillet 1845, sur une recommandation du curé Roux de la paroisse St-Joseph de Soulanges (Les Cèdres), qu’il se rend à St-Polycarpe, alors peu défrichée, pour aider à la recherche des enfants perdus.
M. HONORÉ LAUZON: "Je, soussigné, certifie que, sur une recommandation du Révérend M. Roux, curé de St-Joseph des Cèdres, je suis parti de la dite paroisse pour venir chercher dans la paroisse de St-Polycarpe, alors peu défrichée, les 3 enfants qui avaient été perdus, Pierre Cholet, Toussaint Cholet et Pierre Doucet: c'était dans le mois de juillet 1845."
Témoignage de la préface de Proulx, page XII.
Selon le témoignage original du 9 mars 1887 reproduit ci-contre, Honoré Lauzon part de Les Cèdres pour St-Polycarpe, paroisse
alors non défrichée
, pour chercher les enfants perdus à la suite d’une recommandation du révérend Leroux, curé de
St-Dominique. Lauzon situe la
disparition dans le mois de juillet 1841 et indique que Pierre Cholet a été retrouvé en septembre 1882. Il signale la douleur des
parents devant la perte des enfants. Tout le témoignage, ainsi que la signature, est écrit par le màªme scripteur qui a rédigé les témoignages d’Hyacinthe Cholette
et de Marie-Rose Roby. En comparant l’original du témoignage avec celui de la préface de Proulx, on peut constater des modifications et des différences importantes.
Proulx corrige le nom de famille du curé de Leroux pour Roux. Sans doute a-t-il consulté un annuaire du clergé avant de faire la
correction, ce qui prouve un certain souci d’exactitude de sa part. Mais on peut se demander pourquoi il n’a pas aussi vérifié la date de l’entrée de Maurice Roux
à la cure de la paroisse de St-Joseph-de-Soulanges.
Comme Maurice Roux est arrivé de France à Montréal le 12 janvier 1849, l’abbé Proulx a assurément tort de présenter un témoignage indiquant que le curé Roux a pu
faire des recommandations à Honoré Lauzon en 1845 ou màªme en 18467. Proulx corrige màªme le renseignement
erroné du témoignage sur le nom de la paroisse; il inscrit
St-Joseph en lieu et place de St-Dominique, lequel dernier nom est celui d’un chemin et d’une cà´te de ladite paroisse. Le
témoignage original d’Honoré Lauzon situe la reconnaissance de Pierre Cholet par ses parents en 1882. Proulx coupe le passage sur la date en
question et ajoute une partie du témoignage de Lauzon à celui de Marie-Rose Roby dont nous avons parlé dans le
premier article de cette rubrique.
Le témoignage d’Honoré Lauzon est passablement bricolé. C’est un faux qui ne résiste pas à la critique. Proulx falsifie le témoignage original quant à la date de l’entrée en charge du curé Roux et quant à la date de la disparition des enfants qu’Honoré Lauzon situe en 1841. Les données du témoignage original contredisent celles produites par Proulx lui-màªme quant à la date de reconnaissance de Pierre Cholet par ses parents qu’Honoré Lauzon situe en 1882. Si on suit la chronologie du récit de Proulx, la reconnaissance a eu lieu en 1881, màªme si le témoignage du père de Pierre Cholet de la préface indique que c’est en septembre 1880 que le père Cholette a retrouvé et reconnu son fils. En fin de compte, les retrouvailles ont eu lieu en 1880, 1881 et 1882. Qui dit vrai?
Honoré Lauzon ne fait aucune mention qu’un colporteur aurait enlevé des enfants dans la cà´te Ste-Marie de St-Polycarpe à l’époque o๠Proulx situe les événements.
D’ailleurs, Lauzon mentionne au sujet des enfants disparus que deux sont morts perdus
et non pas enlevés par un colporteur.
Antoine Giroux se considère comme l’un des anciens de St-Polycarpe n’ayant jamais quitté la cà´te Ste-Marie. Né le 28 mars 1829 à St-Polycarpe, ses parrain et marraine sont Franà§ois-Xavier Hamelin et Théotiste Rocbrune, les père et mère d’Isidore Hamelin, lequel a épousé, en 1865, Délima Cholette, la sÅ“ur de Pierre Cholet. Antoine Giroux, quant à lui, épouse en 1855 Catherine Huneau et en 1865 Hermine Desloges. Il a environ 16 ans lors des événements et 58 ans lors de son témoignage. Sa demeure est située non loin de celle d’Hyacinthe Cholette, lot no 11 de la cà´te Ste-Marie Nord de St-Polycarpe. Le témoin ne donne aucune indication sur le jour et sur l’année de la disparition des enfants. Il indique que des recherches ont été effectuées tout d’abord vers le Sud et ensuite vers le Nord. Plus de 400 personnes ont cherché les enfants pendant plus de 15 jours. Antoine Giroux est un proche de la famille Cholette selon les relevés des baptàªmes, mariages et sépultures effectués dans les registres de la paroisse de St-Polycarpe8.
M. ANTOINE GIROUX: "Je suis un ancien qui n'ai jamais quitté la place, et je demeure le quatrième voisin de M. Hyacinthe Cholet. Quand les enfants ont été perdus, on s'est mis à chercher du cà´té du sud, puis on passa au nord de la cà´te. Au-dessus de quatre cents personnes, marchant en ligne de quatre pieds en quatre pieds, ont pris part aux recherches pendant plus de quinze jours."
Témoignage de la préface de Proulx, page XIII.
Le témoignage original d’Antoine Giroux du 9 mars 1887 est reproduit ci-contre. Il diffère très peu de celui retranscrit par Proulx dans sa préface. L’original est signé. Toutefois, nous avons relevé qu’Antoine Giroux déclare ne pas savoir signer lors du baptàªme de son fils Flavien à St-Polycarpe le 22 avril 1884. Le 18 avril 1893, il déclare ne pas savoir signer lors du mariage de son fils Étienne avec Alvina St-Denis. Nous présumons qu’Antoine Giroux ne sait pas écrire en 1887 et qu’il n’a donc pas rédigé lui-màªme son témoignage. Qui l’a écrit?9
La calligraphie du témoignage d’Antoine Giroux ressemble assez étonnamment à celle des témoignages d’Hyacinthe Cholette, de Marie-Rose-Roby et d’Honoré Lauzon,
mais on remarque plusieurs fautes d’orthographe qui semblent apporter un cachet plus véridique au témoignage. L’aide d’un graphologue sera appréciée. Du témoignage
original, Proulx supprime le passage suivant: Le père et la mère étaient triste.
Il s’agit sans doute du père Hyacinthe Cholette et de son épouse
Angélique André dite St-Amant. Il n’écrit pas un mot sur la tristesse de Marie-Rose Roby, la mère de Pierre Doucet, l’un des 3 enfants disparus. Le témoignage ne
donne aucun renseignement sur un colporteur malveillant et on lit, dès le début du témoignage, que des enfants ont été perdus
. Il est difficile
d’accorder foi à ce témoignage écrit probablement après celui d’Hyacinthe Cholette, le père de l’enfant perdu et retrouvé.
Antoine Bélanger a épousé Cléophée Doré à St-Polycarpe le 22 novembre 1842. Il a environ 33 ans lors des événements. Voisin de Pierre Giroux, il demeure au bout de la cà´te Ste-Marie tout près des limites de la seigneurie de la Nouvelle-Longueuil et du canton de Newton à près de 40 arpents (2,3 km) du domicile des Cholette. Il occupe le lot no 14 selon le cadastre abrégé de la seigneurie de la Nouvelle-Longueuil de 186310. Le témoin Bélanger certifie qu’il a participé aux recherches des enfants avec 200 autres personnes et qu’il a entendu la cloche sonner la détresse. Il mentionne avoir vu les jeunes enfants qui s’amusaient dans le chemin à faire des petits fours dans le sable. Bélanger termine son témoignage en écrivant que Pierre Giroux était avec lui.
M. AUGUSTIN BÉLANGER: "Je certifie que j'ai marché moi-màªme à la recherche des enfants. J'ai entendu la cloche sonner la détresse; dans notre bande, nous n'étions pas moins de deux cents hommes. La dernière fois que j'ai vu les enfants, le jour de leur disparition, ils étaient tous les trois dans le chemin, s'amusant à faire des petits fours dans le sable, Pierre Giroux était avec moi."
Témoignage de la préface de Proulx, page XII.
Le témoignage original d’Augustin Bélanger, reproduit ci-bas, est du 9 mars 1887. Il diffère très peu de celui présenté par Proulx dans sa préface. Augustin
Bélanger, à¢gé alors d’environ 75 ans, signe son témoignage. Il déclare avoir marché 4 ou 5 jours à la recherche des enfants. Il entend les cloches
sonner la tristesse. Il pourrait s’inspirer du témoignage d’Hyacinthe Cholette qu’il aurait lu ou qu’on lui aurait lu. Selon lui, pas moins de 200
hommes ont cherché les enfants disparus. Sans indiquer d’heure précise, il mentionne de plus avoir vu dans l’après-midi les enfants qui faisaient
des petits fours dans le chemin, mais sans donner le nom du chemin. Il n’y a pas d’indication dans son témoignage sur le jour et sur la date de la disparition des
enfants. Bélanger termine en affirmant que: Pierre Giroux en a vu faire autant que moi.
.
Augustin Bélanger ne parle d’aucun colporteur. Si Bélanger affirme avoir vu les enfants jouer dans
le chemin dans l’après-midi, c’est que Pierre Cholet, après avoir reà§u une tape de sa mère pour un refus de celle-ci de lui faire une beurrée, n’a pas vraiment mis
sa menace à exécution de ne plus revenir à la maison. Le témoignage original donne: Pierre Giroux en a vu faire autant que moi.
à€ notre avis, cela
signifie que Pierre Giroux a participé aux recherches et non pas qu’il a vu les enfants s’amuser dans le chemin. D’ailleurs, Bélanger ne mentionne pas explicitement
la présence de Pierre Giroux quand il a vu les enfants faire des petits fours dans le chemin.
Dans le recensement canadien de 1881, Rodger Duckett déclare avoir 48 ans. Il serait donc né en 1833, ce qui lui fait 12-13 ans en 1845-1846. Le jeune Duckett demeure donc dans le village de St-Polycarpe chez ses parents en 1845 ou 1846. Rodger est le fils de William Duckett, marchand prospère et député conservateur de Soulanges, après Jacques-Philippe Lanthier, lui aussi un député conservateur estimé de ses commettants. C’est Lanthier qui, avec son épouse, a reconnu Pierre Cholet comme le fils d’Hyacinthe Cholette le lendemain de son retour à St-Polycarpe en 1880, 1881 ou 1882. Le témoin Rodger Duckett se souvient très bien, alors qu’il était un jeune adolescent, que 3 petits enfants Cholette et Doucet se sont perdus dans la cà´te Ste-Marie en 1845. Il a entendu la cloche appeler, sans doute, les gens à la recherche des enfants. Il mentionne que son père a demandé à ses hommes de participer aux recherches.
M. ROGER DUCKETT, maà®tre de poste de Coteau-Station: "Je me souviens fort bien qu'en l'année 1845, il s'est perdu dans la Cà´te de Ste-Marie, paroisse de St-Polycarpe, trois petits enfants du nom de Cholet et Doucet; que j'ai entendu sonner la cloche de ladite paroisse, appelant le monde, sans doute, à leur recherche et que mon père a envoyé ses hommes chercher avec les autres."
Témoignage de la préface de Proulx, page XII-XIII.
Rodger Duckett est le seul à témoigner le 10 mars 1887, alors qu’il demeure à Coteau-Station, localité située à environ 7 km de St-Polycarpe. Sa demeure est sans doute établie non loin de la gare du Grand Tronc o๠passent les trains qui conduisent les voyageurs vers Montréal et l’àŽle-Bizard. C’est probablement ce màªme jour du 10 mars 1887, ou le lendemain 11 mars, que Pierre Cholet se rend chez Proulx pour lui apporter les témoignages recueillis. Comme Duckett témoigne le 10 mars, on peut présumer qu’il a lu certains témoignages du 9 mars 1887, notamment ceux qui mentionnent l’année 1841 comme l’année de disparition des 3 enfants Cholet et Doucet.
Selon le témoignage original du 10 mars 1887 reproduit ci-contre, Duckett, qui signe, situe la disparition des enfants en 1841. Il raconte avoir entendu les cloches de St-Polycarpe sonner la détresse et que son père a donné des ordres pour chercher les disparus. Selon son témoignage, on peut déduire que Duckett n’a pas participé aux recherches et qu’il n’est pas un témoin direct des événements. Comme dans le cas des témoignages d’Hyacinthe Cholette et d’Honoré Lauzon, le fait que Duckett situe la disparition des enfants en 1841 pose un problème quasiment insoluble quand on considère que la disparition des enfants a eu lieu en juillet 1845 selon Proulx, mais en réalité en juillet 1846 selon le communiqué publié dans La Minerve par le notaire Meilleur.
En tenant compte des 2 témoignages commentés dans notre premier article, que faut-il conclure de ces 4 autres témoignages? Les témoignages trouvés dans le fonds P107 de BAnQ sont des originaux, mais on découvre avec étonnement et assez clairement la fausseté des renseignements fournis par Hyacinthe Cholette, Marie-Rose Roby et Honoré Lauzon. Le témoignage original d’Antoine Giroux est fort discutable parce qu’il n’est pas de sa main. Il n’y a pas de marques faites par les déclarants et pas de témoins indépendants pour authentifier les signatures apparaissant à la fin des témoignages, mais le nom de Pierre Cholet apparaà®t au bas du témoignage original de Marie-Rose Roby. Le témoignage original d’Augustin Bélanger semble véridique, authentique, mais imprécis; il est assez fidèlement reproduit par Proulx. Le témoignage original de Rodger Duckett, assez fidèlement reproduit par Proulx, est authentique, mais le témoin erre complètement quant à la date de disparition des enfants. Tous les témoignages ont été recueillis, non pas par Proulx lui-màªme, mais par Pierre Cholet. Ils ont été trafiqués par Proulx en présence de Pierre Cholet et avec le consentement de ce dernier.
Les témoignages ne sont pas contemporains des événements de la disparition des enfants de la cà´te Ste-Marie de St-Polycarpe en 1846. Ils datent de plus de 40 ans après les événements et ont été recueillis plus de 5 ans après un supposé retour à la maison paternelle de l’enfant perdu, Pierre Cholet. Sur la disparition des enfants et sur la date des retrouvailles, les preuves apportées par Proulx sont fausses et lacunaires: rien sur le colporteur sauf le vague renseignement sur un sort qui aurait été jeté. Les témoignages ne portent que sur des recherches effectuées en l’année 1841 et sur des retrouvailles accomplies en l’année 1882, ce qui est en complète contradiction avec les dates mentionnées dans le récit de Proulx et avec la date indiquée dans le communiqué du notaire Joseph Meilleur du 20 juillet 1846. Dans sa préface, Proulx écrit redonner les témoignages dans toute leur simplicité, mais il les a corrigés et surtout falsifiés, en pràªtant sa plume à l’imposture. Il nous reste 2 témoignages à commenter dans le troisième article et qui nous réservent des surprises.
Jean-Luc Brazeau
Copyright © Centre d’histoire La Presqu’à®le, 2008.
Les notes et références bibliographiques qui suivent sont sommaires et seront éventuellement révisées et augmentées.