On a perdu Pierre Cholet

Pierre Cholet: disparition en 1846 et non en 1845

Qui est Pierre Cholet1 ? Né à  St-Polycarpe le 28 septembre 1840, il est le fils d’Hyacinthe Cholette et de Marie-Angélique André dite St-Amant. Selon le récit traditionnel jamais véritablement remis en cause, il aurait été enlevé en 1845 par un colporteur, puis vendu à  un capitaine de bateau du nom de Cottin, originaire de St-Malo, France. En 1880, 35 ans plus tard, Pierre Cholet aurait retrouvé ses parents après d’innombrables aventures en mer, au Labrador, sur la Cà´te-Nord, en Gaspésie et dans plusieurs autres régions du Québec et de l’Est ontarien. Pierre Cholet est décédé le 7 décembre 1907 à  Coteau-du-Lac et fut inhumé le 9 suivant à  St-Polycarpe. Au début des années 1930, le père Alphonse Gauthier, c.s.v. du Collège Bourget de Rigaud et amateur d’histoire régionale, avait émis des doutes sur cette histoire pour le moins extraordinaire. Le Fonds Yves Quesnel conservé au Centre d’histoire La Presqu’à®le renferme quelques lettres qui tendent à  démontrer que l’histoire de Pierre Cholet relève de l’imposture historique. Dans un prochain article, nous reviendrons sur la correspondance du père Gauthier qui a servi de déclencheur à  la présente étude sur Pierre Cholet.

Lors d’une conférence tenue au Centre d’histoire La Presqu’ile le 16 avril 2008, Jean-Luc Brazeau, archiviste, a présenté un entrefilet révélateur paru dans La Minerve du 20 juillet 1846, page 2. Il s’agit d’un bref communiqué écrit le 16 juillet 1846 par Joseph Meilleur, notaire, mentionnant que 3 enfants se sont égarés dans les bois de la cà´te Ste-Marie de St-Polycarpe le mardi 7 juillet 1846. Joseph Meilleur fait une mise au point pour mettre en doute certaines rumeurs dont l’une qui mentionne que les 3 enfants auraient été rencontrés par des étrangers dans la cà´te St-Dominique de la paroisse de Les Cèdres et que ces étrangers auraient, sans les connaà®tre, amené les enfants avec eux.

Les 3 enfants dont il est question dans cet entrefilet sont de toute évidence Pierre Cholet, Toussaint Cholet et Pierre Doucet. Selon la longue tradition littéraire inaugurée en 1887 par Jean-Baptiste Proulx dans son ouvrage intitulé L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet 2, les 3 enfants furent enlevés le vendredi 7 juillet 1845 par un colporteur, mais cette date des événements est contredite par le communiqué donné en preuve par le notaire Meilleur en juillet 1846. Selon le récit de Proulx, les enfants auraient été vendus quelques jours plus tard après le 7 juillet 1845 à  un certain Cottin, capitaine d’un vaisseau franà§ais amarré dans un havre inconnu près de Montréal en bas des rapides de Lachine. Qui ou quoi pousse le notaire Meilleur à  émettre un tel communiqué? Était-il mandaté par des autorités judiciaires ou policières? Nous ignorons pour le moment le motif exact de l’intervention du notaire dans ce dossier, mais il semble clair que le communiqué n’est pas soumis à  La Minerve en vertu d’une initiative strictement personnelle du notaire. Comme des enfants se sont perdus, des recherches sont effectuées pour les retrouver, mais ils demeurent introuvables lorsque le texte du communiqué est écrit le 16 juillet 1846. Notons que le communiqué émane de St-Polycarpe o๠le notaire semble s’àªtre rendu possiblement à  la demande des autorités policières ou des parents des disparus, ou peut-àªtre màªme à  la demande de Georges-René Saveuse de Beaujeu, seigneur et administrateur de la seigneurie de Nouvelle-Longueuil.

Le communiqué du notaire Meilleur contredit donc le récit de 1887 de l’abbé Proulx, lequel appuie la thèse d’un enlèvement sur 2 éléments de preuve: le premier est celui du témoignage de Pierre Cholet lui-màªme qui aurait consigné ses aventures mouvementées dans un manuscrit écrit de sa main avant février 1886; le second est celui des témoignages, vieux de plus de 40 ans, recueillis auprès des voisins d’Hyacinthe Cholette et de personnes habitant St-Polycarpe au moment de la disparition des 3 enfants.

Le témoignage de Pierre Cholet sur le jour de sa disparition est complètement erroné en regard du communiqué du notaire Meilleur. Selon Proulx, Pierre Cholet a 4 ans et 9 mois et 20 jours lors de son prétendu enlèvement par un colporteur. Il situe la scène le vendredi 7 juillet 1845. Or, le 7 juillet 1845 n’est pas un vendredi, mais un lundi. Pierre Cholet est le seul témoin de cet enlèvement avec son frère de 2 ans et 8 mois et de Pierre Doucet, à¢gé de 5 ans et 1 mois. Tout le témoignage du héros de Proulx est contestable. Non seulement sont contestables les événements du jour du supposé enlèvement comme tel, mais aussi tout le reste de son histoire: séjour en France, voyages au long cours de 1855 à  1869, évasion au Labrador en 1870 et retour auprès de ses père et mère en 1880. Signalons que le premier navire franà§ais à  naviguer dans le fleuve St-Laurent après la Conquàªte de la Nouvelle-France est L’Édouard, un navire de commerce provenant de Marseille. Le navire arrive dans le St-Laurent en 18543 . Mais bizarrement Pierre Cholet situe en 1845 son enlèvement et son départ pour la France sur un vaisseau de la compagnie Cottin de St-Malo, un vaisseau et une compagnie fantà´mes selon toutes les recherches effectuées sur leur existence. Quant aux témoignages présentés par Proulx dans la préface de son ouvrage, il faut constater qu’ils ont été trafiqués par le vénérable abbé. En effet, nous avons retrouvé les originaux des témoignages dans le fonds P107 déposé à  BAnQ au Centre d’archives de Montréal, rue Viger.

Nous sommes donc en présence de 2 versions différentes: celle du notaire Joseph Meilleur de 1846 et celle de Jean-Baptiste Proulx de 1887, version tirée d’un cahier rédigé par Pierre Cholet. Signalons que ce dernier a réalisé de 1887 à  1892 un profit sans doute appréciable pour l’époque en étant propriétaire des droits d’auteur de L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet avec l’Institution des Sourds-muets de Montréal. Dans un prochain article, nous reparlerons de la chronologie de la publication de l’œuvre en donnant des précisions sur les profits réalisés par Pierre Cholet sur la vente. Mais avant de poursuivre notre analyse, donnons quelques renseignements biographiques sur Meilleur et Proulx.

Nous avons peu de renseignements sur le notaire Joseph Meilleur. Il pratique de 1838 à  1864 dans la région du Sault-au-Récollet. Son greffe est conservé à  BAnQ. Dans son Histoire du notariat, J.-E. Roy indique qu’il est nommé notaire le 7 mai 1838 sous le régime du Conseil spécial dirigé alors par Lord Durham 4. Une recherche plus exhaustive sur le personnage, sur sa généalogie et sur ses activités professionnelles nous apprendra peut-àªtre les motifs exacts de son intervention par communiqué dans La Minerve en 1846.

Jean-Baptiste Proulx est mieux connu sans doute, mais il n’existe aucune biographie savante sur sa vie et son Å“uvre 5 . Il est l’enfant posthume de Jean-Baptiste Proulx et d’Adeline Lauzon, son père étant décédé en juillet 1845, frappé par la foudre. Né le 7 janvier 1846 à  Ste-Anne-de-Bellevue, il fait ses études classiques au Séminaire de Ste-Thérèse et est ordonné pràªtre en 1869 par Mgr Bourget. Il est missionnaire au Manitoba de 1870 à  1874. Par la suite, il est, entre autres, chapelain de la prison des femmes de Montréal et curé de la paroisse St-Raphaà«l de l’àŽle-Bizard. C’est lors de son séjour dans l’àŽle-Bizard qu’il compose L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet. Jean-Baptiste Proulx est un lointain parent de Pierre Cholet dont l’ancàªtre est Sébastien Cholette dit Laviolette. La grand-mère paternelle d’Adeline Lauzon, la mère de Proulx, est Ursule Cholette, une petite-fille de Sébastien Cholette dit Laviolette. Franà§ois Brunet, le père adoptif de Jean-Baptiste Proulx a aussi une ascendance qui remonte à  Sébastien Cholette dit Laviolette. Professeur de rhétorique, auteur de pièces de théà¢tre et de poésie franà§aise et latine, Proulx est un érudit, une autorité en littérature et un auteur prolifique qui a notamment écrit plusieurs récits de mission dans les terres de colonisation du Québec de la fin du XIXe siècle. En 1885, il est secrétaire du curé Labelle lors d’un voyage de 5 mois en Europe pendant lequel il visite St-Malo. L’abbé a des horaires bien remplis et il témoigne d’une fervente ardeur catholique, littéraire et colonisatrice. Ses récits de voyage sont d’une extràªme précision chronologique. à€ la fin du récit d’un voyage pastoral en Abitibi avec Mgr J.-Th. Duhamel en 1881, il écrit:

Le lendemain, 24 aoà»t, la vapeur nous emportant à  toute vitesse, nous déposa au lieu du départ à  1½ h p.m., après un voyage de 30 jours, 2 heures et 30 minutes, le tout bien compté.6

S’il vivait encore aujourd’hui, l’abbé Proulx serait surpris de constater que son ouvrage sur Pierre Cholet est qualifié d’œuvre de fiction, alors qu’il écrivait dans sa préface en 1887, à  la suite de la présentation des témoignages donnant des preuves sur les événements de la disparition des 3 enfants:

De ce qui précède, il ressort, je crois, jusqu'à  l'évidence, que cette histoire n'est ni une fiction, ni un conte, ni une légende, ni màªme ce qu'on est convenu d'appeler un roman historique, mais bel et bien, dans toute la force du terme, le récit exact d'événements réels, tels qu'ils se sont passés, sans fard ni couleurs. Je me suis fait un scrupule de ne rien ajouter à  la vérité nue, de n'y rien retrancher. Je n'ai pas voulu demander des émotions à  une imagination surexcitée; le simple exposé de ces tristes aventures me paraissait suffisant pour attacher les esprits et toucher les cÅ“urs.

Nous devons tenir compte par ailleurs de la conception que Proulx se fait de l’Histoire et d’une biographie. En 1886, il poursuit l’entretien de sa correspondance avec Joseph Dubuc, un ami personnel depuis son séjour au Manitoba entre 1870 et 18747. Les 2 amis s’écrivent régulièrement. Le 2 juin 1886, Dubuc écrit ce qui suit à  Proulx, lequel travaille alors le canevas de son ouvrage sur Pierre Cholet, mais qui a aussi l’idée d’écrire une biographie sur Dubuc:

Vous revenez à  votre roman, j’en suis bien aise. Vous y tenez; et moi aussi […] Si je comprends bien, vous voulez faire surtout un livre utile, un bon livre montrant les voies et les faveurs admirables de la Providence envers ceux qui prient et espèrent. Vous voulez un type vrai chez lequel les grà¢ces providentielles ont été prodiguées d’une manière presque miraculeuse. Et il est bien vrai que quelques circonstances de ma vie démontrent clairement cette protection et cette sollicitude divine, par l’intercession puissante de Marie invoquée comme mère. J’ai prié beaucoup; et j’ai obtenu bien plus que je ne l’espérais. Je ne me souviens pas si je vous ai raconté les détails de l’intervention extraordinaire de la Ste Vierge, intervention immédiate dans certains moments décisifs. Peut-àªtre vous en ai-je dit un mot. Mais je doute que vous ayez tous les détails. Petit campagnard, au fond d’une paroisse toute rurale, enfant de parents pauvres, trottinant pieds nus sur le bord des ruisseaux, la Providence m’a choisi entre mille, et les circonstances qui m’ont amené à  pouvoir faire un cours d’études dépassent la fiction ordinaire. Vouloir, prier et espérer màªme contre toute espérance, voilà  ce que démontrent certaines particularités de mon existence.

Dans un autre passage d’une lettre du 22 mars de la màªme année 1886, toujours au sujet d’une biographie sur lui-màªme, Dubuc écrit:

Je vous trouve bien entreprenant. Il est vrai que le plus pauvre sujet devient intéressant sous le pinceau d’un artiste. D’un pilier très prosaà¯que, vous pouvez faire un plat propre à  régaler les plus fins gourmets littéraires. Je suis flatté d’àªtre ce pilier. Mais comme vous le dites, il faudra changer les noms et gazer un peu certains détails.

Ces passages sont assez édifiants et peuvent expliquer certaines caractéristiques de L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet de Proulx. Pierre Cholet pourrait lui-màªme, mutatis mutandis, s’exprimer de la màªme faà§on que Joseph Dubuc8.

Revenons maintenant à  2 témoignages présentés par Proulx dans sa préface pour les comparer avec les originaux trouvés à  BAnQ.

Le premier témoignage est celui d’Hyacinthe Cholette, le père de Pierre Cholet. Hyacinthe est né à  Vaudreuil en 1802. Il a 85 ans lors de son témoignage. Son épouse Angélique André dite St-Amant est née en 1816; elle a 70 ans en 1887. La famille Cholette demeure dans la cà´te Ste-Marie Nord, lot no 15. Selon ce témoignage présenté par Proulx, Hyacinthe Cholette soussigne et affirme que ses 2 fils, Pierre et Toussaint ainsi que Pierre Doucet, le fils de son voisin, sont disparus après le passage d’un colporteur qui leur aurait jeté un sort. Il précise que la disparition a eu lieu le vendredi 7 juillet 1845 dans l’après-midi. Le père Hyacinthe Cholette explique ensuite les vains efforts accomplis par plus de 500 personnes pour retrouver les enfants dans les bois environnants pendant 15 jours consécutifs et màªme jusque dans Beauharnois et Chà¢teauguay. Il termine en précisant que son fils Pierre fut retrouvé en septembre 1880.

Selon ce témoignage, il semble clair que, s’il y avait eu des soupà§ons sur un colporteur, inconnu, l’affaire aurait été confiée à  la police afin de mettre la main sur lui. Logiquement, ce serait au moment des événements ou dans les semaines qui les suivirent que des accusations auraient été portées contre un colporteur de passage à  St-Polycarpe et dans la région de Vaudreuil-Soulanges. La question est de savoir quand des accusations ont été portées contre le colporteur. Quand fut-il connu de la famille Cholette que leurs enfants avaient été enlevés par un colporteur? Il semble que la chose ne fut connue qu’au moment du retour de Pierre Cholet en septembre 1880, si on retient cette date comme celle de la reconnaissance par sa famille qu’il était bien l’enfant perdu 35 ans auparavant.

Chose étrange, l’original de ce témoignage du 9 mars 1887 ne correspond pas à  celui que Proulx présente au lecteur dans sa préface. En effet, on constate que le témoignage n’est pas signé. Pour la date de la disparition des enfants, Hyacinthe Cholette donne celle du 7 juillet 1841, un vendredi après-midi vers 4 heures après le passage d’un colporteur que je crois leur avoir jeté un sort. Selon le témoignage du père Cholette, plus de 1 000 personnes participent alors aux recherches. Hyacinthe termine en précisant que, 41 ans après, son fils Pierre était retrouvé en septembre 1882. Le scripteur de la lettre écrit quarante six, le mot un est écrit par dessus un six bien lisible. Les noms des 2 époux sont inscrits au bas du témoignage par le scripteur qui consigne le témoignage. Le témoignage du manuscrit a la màªme calligraphie que celle du témoignage de Marie-Rose Roby qui suit. Le témoignage parle d’une disparition, non d’un enlèvement, et parle bien d’un sort jeté par un colporteur, non d’un enlèvement par un colporteur. L’article de La Minerve du 20  juillet 1846 vient démolir tout le témoignage d’Hyacinthe Cholette et celui présenté par Proulx dans sa préface. Les enfants sont portés comme perdus le mardi 7  juillet 1846 selon Meilleur. Voir le témoignage original d’Hyacinthe Cholette et de son épouse plus bas.

Le second témoignage est celui de Marie-Rose Roby, l’épouse d’Antoine Doucet et la mère de Pierre Doucet. Elle est veuve depuis la mort de son mari survenue le 1er mars 1877. Le recensement de 1881 indique que Marie-Rose demeure à  Ste-Justine-de-Newton chez Fabien Doucet. Elle est décédée le 5 avril 1888 l’à¢ge de 74 ans; elle a 32 ans lors de la disparition des enfants. En 1846, la famille Doucet demeure dans la cà´te Ste-Marie Sud, lot no 2, juste en face du lot d’Hyacinthe Cholette.

Marie-Rose Roby certifie que son fils Pierre s’est perdu dans les màªmes circonstances décrites dans le témoignage d’Hyacinthe Cholette qui précède et dont on lui a fait la lecture. Elle parle de sa douleur qui a duré 35 ans et qu’elle fut soulagée d’apprendre de la bouche de Pierre Cholet comment son fils était mort. Selon ce témoignage, Marie-Rose Roby ne sait pas écrire et ne sait pas lire. Elle certifie, mais ne signe pas.

Or, l’original de ce témoignage du 9 mars 1887 ne correspond pas à  celui que Proulx présente au lecteur dans sa préface. Madame Doucet ne signe pas son témoignage, mais le nom de Pierre Cholette est inscrit entre parenthèses à  la fin du témoignage. On peut penser que Pierre Cholet, accompagné d’un scripteur, recueille lui-màªme le témoignage puisque la calligraphie du témoignage n’est pas la sienne. A-t-on interrogé Marie-Rose à  Ste-Justine-de-Newton ou à  St-Polycarpe? Mme Doucet endosse la déclaration d’Hyacinthe Cholette qu’on lui a lue selon Proulx. La calligraphie du témoignage est identique à  celle du témoignage d’Hyacinthe Cholette qui précède. En souscrivant au témoignage d’Hyacinthe Cholette, Marie-Rose Roby endosse la date du 7 juillet 1841 comme date de disparition des enfants. De plus, Proulx se permet d’indiquer que Pierre Cholet est un petit cousin de Pierre Doucet. Malgré toutes nos recherches, il nous a été impossible d’établir un lien ascendant de parenté entre Pierre Cholet et Pierre Doucet. Au témoignage original, Proulx se permet d’ajouter quelques mots supplémentaires sur la douleur de la mère. Ces quelques mots proviennent d’un autre témoignage dont il sera question dans un prochain article. Rappelons que dans le cours des événements racontés par Proulx, le jeune Pierre Doucet est mort à  l’à¢ge de 2 ans et 9 mois sur le navire qui l’emmenait à  St-Malo. Selon le seul témoignage de Pierre Cholet, le corps du jeune Doucet fut jeté à  la mer. Voir plus bas le témoignage original de Marie-Rose Roby.

En comparant les témoignages trafiqués par Proulx, les témoignages originaux et le communiqué du notaire Meilleur, plusieurs questions surgissent à  l’esprit. Qui dit vrai? La famille doit bien savoir que la disparition a eu lieu en 1846 et non pas en 1845. Alors, quel mystère entoure toute cette histoire et quelles sont les raisons qui poussent les parents de Pierre Cholet et de Pierre Doucet à  certifier que la disparition et, de là , l’enlèvement, datent du vendredi 7 juillet 1841? Pourquoi Proulx ne tient-il pas compte de cette date et la modifie-t-il pour le vendredi 7 juillet 1845, qui est un lundi? C’est un mystère pour le moment, mais il est plausible d’affirmer que, dans le manuscrit de ses aventures, Pierre Cholet ne donnait pas nécessairement de dates précises sur plusieurs événements, laissant à  Proulx le soin d’établir la chronologie.

Selon Joseph Meilleur, c’est le 7 juillet 1846 que Toussaint Cholet, 3 ans et 8 mois; Pierre Cholet, 5 ans et 9 mois, et Pierre Doucet, 6 ans et 1 mois, se sont égarés dans les bois bordant la cà´te Ste-Marie de St-Polycarpe. On peut affirmer que cela ne constitue pas une preuve qu’il s’agit exactement des enfants Cholet et Doucet puisque leurs noms ne sont pas explicitement mentionnés dans l’entrefilet de La Minerve. Si on retient cet argument et que l’on doute de la véracité d’une disparition en 1846 pour affirmer qu’elle a eu lieu en juillet 1845, on se retrouve, selon nous, avec 2 disparitions dans la cà´te Ste-Marie: l’une en 1845 et l’autre en 1846. Or, il n’y a aucun texte ou document qui prouve qu’une disparition a eu lieu en 1845, sauf l’ouvrage de Proulx, tiré du manuscrit de Pierre Cholet. Alors, qui dit vrai?

Comme témoin externe, Meilleur apporte un témoignage beaucoup plus véridique que celui de Pierre Cholet transmis par Proulx. Pourquoi Proulx a-t-il trafiqué les témoignages quand il est évident que Toussaint n’a pu disparaà®tre en 1841, puisqu’il est né en 1842. Pourquoi un notaire qui pratique au Sault-au-Récollet prendrait-il la plume pour écrire à  La Minerve sur cette disparition? Par qui le notaire est-il mandaté sinon par les autorités judiciaires ou policières ou par les familles de 3 disparus? Le communiqué de Meilleur, écrit le 16 juillet 1846, ne parle aucunement d’un enlèvement perpétré par un colporteur faisant partie d’un organisme international maritime spécialisé dans le rapt. Il parle des mille et une nouvelles circulant au sujet de la disparition des 3 enfants dont l’une affirmant que les enfants auraient rencontré des étrangers dans la cà´te St-Dominique des Cèdres et que ces étrangers les auraient amenés avec eux. Il est peu probable que les 3 enfants se soient rendus jusquâ€™à  cet endroit distant de 15 km ou plus de la cà´te Ste-Marie sans trouver un refuge, une maison, une main secourable. à€ leur à¢ge, quels chemins ou sentiers auraient-ils empruntés pour s’y rendre?

Il faut essayer de cerner la situation de ces enfants en ce jour de leur disparition le 7 juillet 1846: état des lieux, canicule et orages en juillet 1846, sentiers praticables, voies navigables. Qui a lu l’entrefilet de La Minerve en 1846? Qui a pu en prendre connaissance après 1846? Quelques une de ces questions auront des réponses dans les prochains articles de cette chronique. Dans l'article suivant, nous produirons 4 autres témoignages authentiques pour les comparer avec ceux colportés par l’abbé Proulx.

Jean-Luc Brazeau
Copyright © Centre d’histoire La Presqu’à®le, 2008.


  1. Nous utilisons la graphie Cholet pour le héros Pierre Cholet et son frère Toussaint, mais la graphie Cholette pour le reste de la famille.
  2. L’œuvre de Jean-Baptiste Proulx est accessible dans la Collection numérique de BAnQ.
  3. Sur l’arrivée des premiers navires franà§ais dans le St-Laurent après la Conquàªte, voir Sous la direction de Yvan Lamonde et Didier Poton. La Capricieuse (1855): poupe et proue: les relations France-Québec, 1760-1914. 2006. Voir aussi l’exposition virtuelle La Capricieuse comportant une excellente bibliographie.
  4. Roy, Joseph-Edmond, Histoire du notariat au Canada depuis la fondation de la colonie jusquâ€™à  nos jours. Lévis. 1899-1902, Vol. 4, p. 30.
  5. Sur Jean-Baptiste Proulx, on consultera avec profit l’article du Dictionnaire biographique du Canada, vol. XIII, p. 923-925. Le Dictionnaire des auteurs de langue franà§aise en Amérique du Nord présente une excellente bibliographie sur Proulx, malgré quelques erreurs. L’ouvrage est accessible par Internet à :BAnQ
  6. Proulx, Jean-Baptiste, Voyage au lac Abitibi ou visite pastorale de Mgr J. Th. Duhamel dans le haut de l’Ottawa. 1881. p. 236-237. Voir la Collection numérique de BAnQ
  7. Sur Joseph Dubuc, on consultera le Dictionnaire biographique du Canada, Vol. XIV, p. 340-341.
  8. Les 2 lettres proviennent de BAnQ, P107/77-697, Centre d’archives de Montréal.
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