En septembre 2007 fut érigée dans la côte Ste-Marie de St-Polycarpe une plaque dite patrimoniale commémorant le décès de Pierre Cholet survenu le 7 décembre 1907 1. Son dévoilement marquait aussi le 120e anniversaire de la parution en 1887 de L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet de l’abbé Jean-Baptiste Proulx 2. Cette plaque présente des reproductions de documents iconographiques ainsi qu’un texte résumant à grands traits la vie de Pierre Cholet. Les renseignements inscrits sur la plaque sont en grande partie faux puisqu’ils sont tirés de l’ouvrage du vénérable abbé Proulx ou des historiens et amateurs qui ont suivi ses pauvres traces 3. Toutes les éditions postérieures à celle de 1887 jusqu’à nos jours reprennent les mêmes erreurs quant aux événements relatant la disparition et les autres aventures de Pierre Cholet. La saga de Pierre Cholet, qui touche les cœurs et notre raison, est cousue de fils blancs. Notre propos vise à relever et à commenter les erreurs historiques de la légende gravée sur cet écriteau de la côte Ste-Marie. Nous apportons des preuves et posons des questions qui jettent des doutes sérieux sur la réalité de faits tenus pour vérités historiques depuis plus d’un siècle.
Le titre de la plaque, Pierre Cholette. L’enfant perdu et retrouvé. 35 ans plus tard, constitue déjà en lui-même une première erreur. Selon Jean-Baptiste Proulx, et de façon générale selon la tradition littéraire et historique depuis 1887, l’enfant perdu en question est disparu en juillet 1845 et fut retrouvé ou reconnu par ses parents en septembre 1881. Il aurait donc fallu écrire, 36 ans plus tard, afin de respecter la chronologie établie par Proulx et Pierre Cholet 4.
Si l’on accorde cependant foi à un témoignage présenté dans la préface de Proulx de l’édition de 1887, soit celui d’Hyacinthe Cholette, le père du héros, il est plausible d’écrire qu’il a été retrouvé 35 ans plus tard.
Je, soussigné, Hyacinthe Cholet, père de Pierre Cholet, enfant perdu et retrouvé, certifie que le 7 juillet 1845, un vendredi après-midi, mes deux fils Pierre et Toussaint, avec Pierre Doucet, le petit garçon de mon voisin, ont disparu de la maison, à mon insu, après le passage d'un colporteur, qui, je crois, leur avait jeté un sort. […] Trente-cinq ans après, Pierre était retrouvé, en septembre 1880. En foi de quoi, j'ai déposé ma signature.5
Ce témoignage rapporté par Proulx ne concorde pas toutefois avec l’original et entre en contradiction avec la trame chronologique des événements établis par Proulx lui-même 6. Afin de rétablir les données chronologiques de la disparition et des retrouvailles, reportons-nous au texte de la première édition de L’enfant perdu et retrouvé en 1887, au moment où le héros du récit est engagé à la manufacture de coton de Cornwall en 1878.
Je gardai cette place, qui me plaisait fort, demeurant toujours chez le bon M. Sigouin, pendant quinze mois, jusqu'en novembre 1878.7
Nous sommes donc à l’automne de l’année 1878. Pierre Cholet est mis à pied temporairement et déclare:
Me trouvant sans ouvrage, je résolus d'aller passer l'hiver dans les forêts de l'État de New-York, à Southwood, une quinzaine de lieues au sud d'Ogdensburg.8
L’intention de Pierre Cholet est d’aller aux ÉUA pendant la période hivernale de 1878-1879 et de revenir à Cornwall après un séjour à Southwood. Il travaille dans cette localité étatsunienne à charroyer de la pruche et se gèle les pieds lors d’un accident de travail. Le héros réussit à convaincre son employeur de l’héberger pour l’hiver. Le moment exact où l’accident s’est produit n’est pas indiqué, mais la convalescence a duré pendant une partie de l’hiver. Proulx précise que c’est au début de mars que Pierre Cholet quitte Southwood pour revenir à Cornwall chez Pierre Sigouin, chef de la famille qui l’hébergeait.
Au commencement de mars, il tomba une grande abondance de pluie, et les hommes furent renvoyés.9
Si Pierre Cholet part de Southwood au début de mars, cela signifie que son départ a lieu en mars 1879 puisqu’il avait quitté Cornwall en automne 1878, comme il est mentionné plus haut. En lisant Proulx, nous ne savons pas quand Pierre Cholet est revenu à Cornwall, mais il est probablement de retour à la fin de mars ou au début d’avril 1879 au même moment où, à son arrivée, il constate avec douleur le décès de Pierre Sigouin, son second père 10.
Je me faisais une fête de rentrer chez M. Sigouin. Je le trouvai mort, exposé sur les planches; son service et enterrement devaient avoir lieu le lendemain. […] Cette mort inattendue fut pour moi comme un coup de foudre, j'en restai abasourdi pendant des mois. J'avais trouvé un père, je le perdais! Je redevenais orphelin pour la deuxième fois.11
Selon Proulx, comme l’épouse de Pierre Sigouin – avec ses 7 filles – éprouve des difficultés financières après le décès de son mari, elle juge plus réaliste de déménager dans un nouvel appartement; mais il est trop petit pour y loger aussi Pierre Cholet. Ce dernier trouve alors pension, probablement en mai ou juin 1879, chez un certain Robidoux qui loue des chambres à des pensionnaires à Cornwall. Cholet y demeure pendant plus de 2 ans.
Je demeurai deux ans et trois mois chez M. Robidoux, continuant de travailler à la manufacture.12
Si Pierre Cholet demeure 2 ans et 3 mois à Cornwall chez Robidoux à compter de mai 1879, il est encore à Cornwall au printemps de 1881 lorsqu’il fait la
connaissance de Mathilde Gauthier, cette demoiselle
à l’origine de la reconnaissance de Pierre Cholet par ses parents. Mais cela signifie que notre héros n’a pu
être reconnu par ses père et mère en septembre 1880, puisqu’il n’a rencontré Mathilde Gauthier qu’au printemps de 1881.
Depuis le printemps, travaillait à la manufacture et pensionnait avec moi, chez M. Robidoux, une jeune fille de vingt-deux ans, nommée Mathilde Gauthier; ses parents demeuraient sur la paroisse de St-Raphaël, dans le huitième rang de Lancaster, par conséquent pas très loin des limites de la Province de Québec et de la paroisse de St-Polycarpe.13
Selon Proulx, Pierre Cholet raconte, tout en pleurs, ses aventures d’enlèvement à Mathilde Gauthier, ainsi que son séjour en France, son service en mer comme matelot, son évasion au Labrador et les péripéties de ses longues recherches pour retrouver ses parents au Québec et en Ontario. Mathilde Gauthier raconte cette même histoire à ses parents, lesquels vont faire un lien avec la disparition des enfants plus de 30 ans auparavant. Mais cette dernière scène de la narration des aventures de Pierre Cholet à Mathilde Gauthier se situe en août 1881 si on suit Proulx, donc presque un an après la supposée reconnaissance de septembre 1880 selon le faux témoignage d’Hyacinthe Cholette tel que rédigé par Proulx dans sa préface.
Au mois d'août, Mlle Gauthier alla se promener chez son père, M. Joseph Gauthier. Ils lui demandèrent: M. Robidoux a-t-il bien des pensionnaires? Six, trois filles et trois hommes. Au nombre de ces derniers, je vous dis qu'il y en a un qui fait pitié. Il a été enlevé de chez son père à l'âge de cinq ans, avec un petit frère qui en avait quatre, et un petit cousin qui en avait six.14
À la suite de la rencontre du mois d’août 1881 entre Pierre Cholet et Mathilde Gauthier, le père de cette dernière se rend à Cornwall au début de septembre afin de convaincre le disparu qu’on avait retrouvé ses parents.
Quelques jours après, M. Gauthier, avec sa fille, arrivait chez Mr Robidoux vers midi. C’était dans les premiers jours de septembre. En entrant, il dit: Où est l’enfant perdu ? A la manufacture. Va-t-il revenir bientôt. Il ne tarde que l’heure de rentrer pour dîner.15
Une semaine plus tard en septembre 1881, après un bref séjour chez sa sœur Délima à St-Raphaël, Ontario, Pierre Cholet est de retour à la maison paternelle dans la côte Ste-Marie de St-Polycarpe. Il est non seulement reconnu par ses parents, mais authentiquement reconnu par le curé de St-Polycarpe, Jean-Octave Rémillard, et par le député Jacques-Philippe Lanthier. Pierre Cholet passe alors un mois chez ses parents.
Je passai d'abord un mois à la maison paternelle, dans une atmosphère de douceur nouvelle pour moi; à peine pouvais-je croire à la réalité; […] Comme je ne voulais pas leur être à charge, ni passer pour un paresseux, je retournai, au mois d'octobre, travailler à la manufacture de Cornwall.16
Cette période de retrouvailles se situe donc en septembre et octobre 1881 en toute logique. Le passage précédent confirme la trame chronologique depuis 1878 ainsi que les renseignements chronologiques du passage qui suit:
Au jour de l'an, je revins chez nous demander, pour la première fois, depuis l'âge de connaissance, la bénédiction paternelle, manger le beigne de fête et recevoir mes étrennes. Étant allé me promener chez mon beau-frère Hamelin [le mari de Délima, la sœur de Pierre Cholet], le curé de Saint-Raphaël m'engagea comme bedeau. Dans les jours gras de cette même année 1882 je renonçai à la vie de vieux garçon, pour épouser une jeune fille de vingt-deux ans, Anna Levac. La bénédiction du Dieu d'Abraham est descendue dans ma maison; nous avons une petite fille qui est âgée aujourd'hui de quinze mois.17
Le Jour de l’An dont il est question dans le passage précédent est celui de 1882 et le jour des retrouvailles se situe donc, en toute logique, en septembre 1881. Selon Proulx et le texte de la plaque patrimoniale, l’année de la disparition de Pierre Cholet est 1845. Des références indiquant l’année 1845 comme l’année de la disparition sont présentées non seulement dans les témoignages de la préface de Proulx, mais aussi dans le récit lui-même dans un passage, entre autres, où le lecteur apprend que Pierre Cholet a fait publier une annonce dans un journal de Québec.
Et le lendemain, il paraissait, dans le journal de Québec, je crois, que deux petits frères avec leur petit cousin, Pierre, Louis et Toussaint Marin, avaient été volés en 1845, à l'âge respectif de six, cinq et quatre ans; que l'un d'eux était à la recherche de ses parents et que, si quelqu'un avait entendu parler de Marin ayant perdu des enfants, il était respectueusement prié d'en donner avis au bureau du journal. 18
Mais, l’original du témoignage d’Hyacinthe Cholette parle de 1841 comme année de la disparition des 3 enfants. Il a été prouvé que cette disparition a eu lieu en juillet 1846, que selon Proulx les retrouvailles ont eu lieu en septembre 1881 et que, toujours selon le témoignage original d’Hyacinthe Cholette, les mêmes retrouvailles ont eu lieu en septembre 1882. Qui dit vrai?
D’après la plaque patrimoniale, la disparition des 3 enfants est survenue le 7 juillet 1845 sans qu’il ne soit fait mention exacte du jour. Le témoignage d’Hyacinthe Cholette, père du héros, indique que ce 7 juillet 1845 était un vendredi, jour retenu par Proulx en 1887 et par ceux qui l’ont suivi depuis. Pourquoi avoir omis d’inscrire sur la plaque le jour précis de la disparition, soit un vendredi?
Je, soussigné, Hyacinthe Cholet, père de Pierre Cholet, enfant perdu et retrouvé, certifie que le 7 juillet 1845, un vendredi après-midi, mes deux fils Pierre et Toussaint, avec Pierre Doucet, le petit garçon de mon voisin, ont disparu de la maison…19
Au tout début de L’enfant perdu et retrouvé, Pierre Cholet affirme:C'était dans l'été, le 7 de juillet 1845, ce qu'on m'a dit
depuis.
20Il n’indique pas toutefois depuis quand on lui a donné les renseignements sur la date et l’année de sa
disparition, mais il semble qu’il le savait déjà en novembre 1870 puisqu’il dit avoir fait publier les mêmes renseignements sur sa disparition dans des journaux
de Québec et de Montréal. Dans l’ouvrage de Proulx, un passage confirme que les événements de la disparition sont survenus un vendredi:
Sans perdre de temps, les deux familles éplorées, avec l'aide des voisins, se mirent à battre les bois des environs; ils passèrent toute la nuit et toute la journée du lendemain qui était un samedi, à chercher, à appeler, à crier, mais en vain.21
Or, selon le calendrier universel, le 7 juillet 1845 est un lundi. Il s’agit donc d’une erreur chronologique évidente qui ne semble avoir été remarquée ni par Proulx ni par Pierre Cholet à l’époque de la rédaction de L’enfant perdu et retrouvé en 1887 et même jusqu’à tout récemment 22. Cependant, cette erreur de chronologie a été probablement constatée par Jean-Marie Léger en 1979. Léger était un amateur de généalogie et d’histoire qui a écrit plusieurs monographies sur l’histoire des municipalités de Vaudreuil-Soulanges. En 1979, pour la commémoration du 150e anniversaire de la paroisse de St-Polycarpe, il a écrit un opuscule sur St-Polycarpe dans lequel il indique que la disparition des enfants a eu lieu le 4 juillet 1845 qui est bien un vendredi23. Ce faisant, Léger voulait peut-être corriger l’erreur chronologique commise par l’abbé Proulx, mais de la sorte il infirme le témoignage d’Hyacinthe Cholette de la préface de Proulx, mais sans donner aucune justification24. La correction chronologique apparaît également dans une publication de 2005 de la municipalité de St-Polycarpe25. L’erreur du vendredi 7 juillet, transformée en vendredi 4 juillet, semble donc corrigée, mais la correction est invalidée par le fait que la disparition a eu lieu en 1846.
Soulignons de nouveau que le témoignage d’Hyacinthe Cholette présenté par Proulx dans sa préface est fort suspect. Hyacinthe Cholette certifie que la disparition des ses 2 fils et du jeune Pierre Doucet est survenue le vendredi 7 juillet 1841. Pierre Cholet n’a même pas un an en 1841 et son frère Toussaint n’est pas encore né!!! Comme le 7 juillet 1841 n’est pas un vendredi, mais un mercredi selon le calendrier universel, il faut conclure que même le témoignage original attribué à Hyacinthe Cholet est un faux. Il faut également conclure à la fausseté des renseignements chronologiques de la plaque patrimoniale sur l’année de disparition de Pierre Cholet et sur l’année de sa reconnaissance par ses parents. Tout compte fait, le seul véritable et authentique témoignage sur le jour de la disparition des 3 enfants de la côte Ste-Marie de St-Polycarpe demeure celui du notaire Joseph Meilleur. En effet, le notaire Meilleur a fait publier le 20 juillet 1846 un communiqué dans le journal La Minerve indiquant que 3 enfants de la côte Ste-Marie de St-Polycarpe s’étaient égarés dans les bois le 7 juillet 1846, un mardi.26
La plaque patrimoniale nous informe que Pierre Cholet est disparu avec son frère Toussaint et un petit-cousin du nom de Pierre Doucet. Malgré nos recherches, il nous a été impossible d’établir un cousinage entre Pierre Cholet et Pierre Doucet.27
Pierre Cholet apporte une précision au sujet de ce cousinage dans L’enfant perdu et retrouvé:
Je ne fus que trois jours à Québec, les pieds me brûlaient de me rendre chez le M. Marin de Richmond. Pour sûr, me disais-je, cet homme est mon oncle, le père de Pierre qui est mort en mer; lui, va me donner des renseignements certains sur mon père, qui est son frère. 28
Pierre Cholet, alias Louis Marin, pensait que le père de Pierre Doucet, alias Pierre Marin rapporté décédé en mer en 1845 par Proulx, était le frère de son père. Selon le héros de Proulx, Antoine Doucet ou Marin serait le frère d’Hyacinthe Cholette ou Marin, ce qui est faux de toute évidence malgré la précision apportée par Pierre Cholet qui s’empresse de réparer cette donnée erronée. Mais, immédiatement, il commet une nouvelle erreur en ajoutant:
Franchement, je pensais avoir plus de peine à tomber, après vingt-cinq ans, sur la trace des miens. J'étais alors sous l'impression que Pierre était mon cousin germain, lorsque, en réalité, nous n'étions qu'issus de germain.29
Selon nous, Pierre Cholet ne pouvait être sous l’impression que Pierre Doucet ou Marin était son cousin germain puisqu’il n’y avait aucun lien de cousinage entre eux en 1845. Si les 2 enfants sont issus de germains, ce sont leurs pères respectifs, soit Hyacinthe Cholette et Antoine Doucet, qui sont cousins germains. Si leurs pères respectifs sont cousins germains, Hyacinthe est donc le cousin germain d’Antoine ou vice-versa; les pères des 2 enfants auraient conséquemment un ascendant paternel ou maternel commun. Or, les parents d’Hyacinthe Cholette sont François Cholette et Judith Mélisse tandis que le père et la mère d’Antoine Doucet sont Pierre Doucet et Hyppolite Picard 30. Il n’existe ainsi aucun lien de cousinage entre Pierre Cholet et son présumé petit-cousin. De plus, comment Pierre Cholet peut-il affirmer en 1870, lors de sa prétendue visite chez un dénommé Marin de Richmond, que Pierre Doucet était son petit-cousin, alors que, lors de sa disparition 25 ans auparavant, il n’y avait aucun lien de cousinage entre lui et Pierre Doucet? Ce lien de cousinage est une invention tardive selon toute vraisemblance. Il est possible de donner néanmoins une explication à ce cousinage. En effet, la sœur de Pierre Doucet, Christine, née en 1843, épouse le 8 février 1869 à St-Polycarpe, Jean-Baptiste Montreuil, le fils de Michel Cédilot dit Montreuil et de Justine Cholette. Née en 1825 du premier mariage d’Hyacinthe Cholette avec Marie-Rose Liboiron, Justine est la demi-sœur et la marraine de Pierre Cholet. Lorsque le fils de Justine, Jean-Baptiste Montreuil, épouse une Doucet, une alliance parentale est créée entre les familles Cholette et Doucet. Comme Pierre Cholet est né en 1840 et qu’il a presque le même âge que Christine Doucet, il est possible pour la forme et pour la familiarité de parler de petite-cousine et de petit-cousin à partir de 1869. De plus, le frère de Pierre Doucet, Théophile, né en 1845, épouse le 13 juillet 1869 à St-Polycarpe, Marie Cholette, la fille de François-Olivier Cholette et de Josephte André dite St-Amant. François-Olivier Cholet est le frère d’Hyacinthe Cholette; il est donc l’oncle de Pierre Cholet qui est lui-même le cousin germain de Marie Cholette. Lorsque Théophile Doucet épouse Marie Cholette, une alliance parentale est de nouveau créée entre les familles Cholette et Doucet. Il est ainsi encore possible pour la forme et pour la familiarité de parler de petite-cousine et de petit-cousin, mais toujours en 1869 et par la suite.
Lors de la disparition des enfants en 1845 selon la chronologie de Proulx, Pierre Cholet et Pierre Doucet ne sont ni cousins ni petits-cousins puisqu’il n’existe aucun lien de parenté entre eux à la 3e génération. À partir de 1869, comme des liens matrimoniaux sont créés entre les familles Doucet et Cholette, il est permis de penser que, dans les 2 familles, il était familier de se donner le titre de cousin et de petit-cousin. Mais, selon Proulx, Pierre Cholet ne revient à la maison paternelle qu’en septembre 1881. Avant septembre 1881, le héros de Proulx ne pouvait savoir qu’il avait un cousin ou un petit-cousin du nom de Pierre Doucet. Ce qui signifie qu’il est faux de parler de Pierre Doucet comme un cousin ou un petit-cousin de Pierre Cholet en 1845. Cela peut signifier que cette histoire de cousinage a été inventée au moment où Pierre Cholet écrivait sa vie dans un cahier entre 1881 et 1886 avant de le remettre à Jean-Baptiste Proulx en février 1886 pour une publication.
Il faut enfin souligner un autre anachronisme ou une erreur de Proulx quand il fait dire à Mathilde Gauthier:
M. Robidoux a-t-il bien des pensionnaires? Six, trois filles et trois hommes. Au nombre de ces derniers, je vous dis qu'il y en a un qui fait pitié. Il a été enlevé de chez son père à l'âge de cinq ans, avec un petit frère qui en avait quatre, et un petit cousin qui en avait six. 31
Comme il n’y avait aucun lien de parenté entre les Cholette et les Doucet lors de la disparition des enfants, il semble clair que Pierre Cholet ne peut pas raconter à Mathilde Gauthier que c’est un petit-cousin qui a été enlevé avec lui, puisque Pierre Doucet n’est pas son petit-cousin au moment de la disparition. En fin d’analyse, selon nous, il faut conclure que les renseignements donnés par Proulx sur le cousinage de Pierre Cholet et de Pierre Doucet sont faux. De même est fausse la mention sur ce cousinage inscrite sur la plaque patrimoniale de la côte Ste-Marie de St-Polycarpe.
Le récit de l’abbé Proulx, source primaire sur laquelle est basé le texte de la plaque patrimoniale dédiée à Pierre Cholet, raconte que c’est un étranger qui aurait enlevé les 3 enfants le 7 juillet 1845. Cet étranger, un colporteur, se serait rendu par la suite, en quelques jours, dans un endroit inconnu dans les environs de Montréal pour livrer sa marchandise, soit les 3 enfants enlevés à St-Polycarpe. Le récit de Proulx repose sur 3 témoignages: celui de Pierre Cholet lui-même ainsi que sur celui de son père Hyacinthe et de sa cousine Sophie Cédilot. Ces 3 témoignages ont été analysés dans les autres volets et nous avons démontré à quel point ils sont fort suspects sinon carrément faux 32. Il n’existe aucun témoignage probant sur la présence de cet étranger, de ce colporteur, à St-Polycarpe et dans Vaudreuil-Soulanges en 1845 ou en 1846. À notre avis, cette histoire d’étranger a été inventée après la disparition des enfants afin de trouver un coupable, un responsable de la tragédie qui avait frappé les familles Cholette et Doucet. Ce colporteur était-il vivant lors de l’hypothétique retour de Pierre Cholet au Québec en 1870? Pourquoi Pierre Cholet n’a-t-il pas essayé de retrouver la trace de cet étrange colporteur et de déposer une plainte contre lui ou un avis de recherche pour retrouver sa trace et des témoins? Après arrestation et interrogatoire du colporteur par la police, Pierre Cholet aurait-il pu découvrir que ses parents demeuraient dans la côte Ste-Marie de St-Polycarpe!?
Dans un passage cité plus haut, Pierre Cholet déclare avoir fait passer un avis de recherche dans un journal de Québec mais en oubliant un élément important à notre avis. Pourquoi en effet ne pas avoir ajouté, dans cette annonce, que les enfants avaient été volés par un colporteur? L’omission volontaire ou involontaire de ce renseignement sur le colporteur pose plusieurs problèmes sur lesquels nous reviendrons dans la mesure où nos recherches s’avèreront fructueuses pour retrouver l’annonce en question publiée un peu après la mi-novembre 1870 selon le récit de Proulx. Devant l’expectative assurément presque nulle de trouver une telle annonce dans un journal de Québec ou même de Montréal de 1870, devant l’absence de toute preuve documentaire externe accusant un colporteur et dans la mesure où la démonstration a été faite de l’extrême faiblesse des témoignages présentés par Jean-Baptiste Proulx, il est difficile de faire porter le blâme de la disparition des 3 enfants sur un étranger de passage, sur ce colporteur inconnu, sans nom, sans signalement précis, jamais accusé officiellement, jamais arrêté et dont, à notre connaissance, il n’est nulle part fait mention dans les annales journalistiques et judiciaires de l’époque 33.
Pour démontrer toute la fausseté de l’histoire transmise par la plaque patrimoniale dédiée à Pierre Cholet, il suffit de s’interroger sur les affirmations de l’abbé Proulx selon lesquelles un capitaine de bateau du nom de Cottin aurait pris les 3 enfants à bord de son navire pour les amener en France à St-Malo.
Rappelons brièvement certains faits historiques. Les Britanniques ont conquis la Nouvelle-France en 1760, conquête ratifiée par le Traité de Paris de 1763 qui mettait fin, sauf pour quelques territoires et pour certains privilèges concernant les pêcheries, à la colonisation française en Amérique du Nord. Les droits du conquérant britannique s’appliquent si bien que tout lien maritime direct est coupé immédiatement en 1760 entre la France et son ancienne colonie. Les historiens et experts en histoire maritime du St-Laurent ont démontré que c’est en 1854 qu’un premier navire commercial français a navigué dans le fleuve St-Laurent après 1760. Ce premier navire était L’Édouard, en provenance de Marseille en 1854, suivi en juillet 1855 par un navire plus célèbre: La Capricieuse 34.
Aucune recherche à l’heure actuelle ne démontre qu’il y ait eu un navire en provenance de St-Malo qui avait des intérêts dans les pêcheries et qui se soit rendu en 1845 ou 1846 dans un port du St-Laurent situé à quelques jours en charrette et en canot de la côte Ste-Marie de St-Polycarpe. Une consultation des nouvelles maritimes de La Minerve et du Morning Chronicle pour les mois de mai, juin et juillet de 1845 et de 1846 ne nous a pas permis de découvrir des renseignements sur un navire provenant de St-Malo, sur la cargaison de ce navire, sur le nom de son propriétaire et sur le nom de son capitaine 35.
Est-ce qu’une recherche dans les archives maritimes de France donnerait plus de résultat? Nous n’avons pas encore consulté les archives maritimes françaises sur les départs et arrivées des navires de St-Malo en 1845-1846 et pour les années pendant lesquelles Pierre Cholet aurait séjourné en France. Pour éliminer les controverses sur cette question de la carrière maritime de Pierre Cholet, une recherche systématique devrait être entreprise, malgré le fait qu’elle sera infructueuse, mais sans doute instructive. Dans une publication récente, J.R. Koenig rapporte avoir consulté les archives départementales de Bretagne à Rennes en 1999. Elle affirme que ses recherches furent vaines, mais non exhaustives, faute de temps:
In 1999, I briefly did some checking into maritime records for St. Malo for the relevant years 1854-1870 when Pierre Cholet and his
brother were ship’s boy and sailors. Unfortunately, I had only one afternoon to spend in the hall of records, located in Rennes so this research was far from
complete. I was no able to find in the ship registers any records of Pierre Marin, Toussaint Marin or of Captain Cottin.36
Les importantes activités de la compagnie Cottin demeurent donc inconnues malgré nos recherches sur Internet et celles effectuées par J.R. Koenig. Cependant, Proulx affirme:
La compagnie [Cottin] possédait un grand nombre de vaisseaux qu'elle louait, les uns au gouvernement pour le transport des troupes, les autres aux commerçants pour l'expédition de leurs marchandises, les autres à des associations de pêcheurs à la morue.37
Une compagnie de l’envergure de celle de la famille Cottin devrait avoir laissé des traces documentaires dans les archives maritimes de France. De toute évidence, Proulx n’a pas consulté les archives maritimes de France avant de composer son récit d’après un cahier que lui a remis Pierre Cholet en février 1886. S’il n’y a pas de navire en provenance de St-Malo dans le St-Laurent en 1845 ou 1846, Pierre Cholet ne s’est donc pas embarqué pour la France.
Le récit de Proulx comporte ainsi une erreur majeure qui fait en sorte d’invalider tout le récit des aventures de Pierre Cholet. Cette erreur est reprise sur la plaque patrimoniale et, sans preuve documentaire concrète, il est inexact d’affirmer qu’un capitaine de bateau a embarqué le jeune Pierre Cholet pour la France en 1845.
La partie textuelle la plus longue de la plaque patrimoniale nous renseigne sur la période 1845-1881 qui débute avec le jour de la disparition de Pierre Cholet et qui se termine au mois de septembre de l’année de sa reconnaissance par ses parents. Le texte fait évidemment indirectement référence à l’ouvrage de l’abbé Proulx dans lequel sont racontées les invraisemblables aventures de Pierre Cholet. Tout le récit est fictif et ne repose sur aucune preuve tangible s’il est bien admis que le jeune Pierre Cholet n’a pas été vendu à un capitaine de bateau et n’a pas été embarqué sur un navire français en 1845 ou 1846. Les réflexions qui suivent ne servent pas à endosser la fiction écrite par Proulx, mais servent plutôt à examiner d’un œil critique certaines invraisemblances publiées depuis 120 ans et recopiées sur la plaque patrimoniale dédiée à Pierre Cholet en 2007.
En France, les 2 jeunes Cholet, Pierre et Toussaint, auraient fréquenté une école de St-Malo dirigée par le frère du capitaine Cottin durant 8 ou 9 sinon 10 ans, entre 1845 et 1855. Le petit Toussaint Cholet n’avait que 2 ans et 9 mois en juillet 1845. Il était bien jeune quand il a traversé l’Atlantique pour aller fréquenter en si bas âge une école située près des quais de St-Malo.
Nous passâmes, mon frère et moi, notre enfance à St-Malo. On nous plaça chez un vieillard nommé Cottin; c'était le frère du capitaine, mort sur mer […] Nous passâmes chez lui huit ou neuf ans. Il était assez bon pour nous; mais sa vieille était bien mauvaise. M. Cottin faisait l'école à une vingtaine de petits garçons.38
En 8 ou 10 ans à l’école, Pierre Cholet aurait fait l’apprentissage du catéchisme, de la géographie, de l’arithmétique et de certaines notions d’orthographe. Si cela est vrai, il a sans doute appris des notions propres au monde maritime, développé ses connaissances en astronomie et acquis un accent de France parlé par la population et par les gens de mer de St-Malo. Ainsi, après son retour au Canada, le héros de Proulx aurait dû conserver quelques bribes de son apprentissage du français à l’école en France et aurait dû maîtriser certaines connaissances du monde maritime acquises durant son service dans la marine de France.
Une lettre authentique présentée plus bas nous renseigne sur la calligraphie de Pierre Cholet et sur sa connaissance plutôt sommaire de l’orthographe française. S’il a reçu son éducation en France pendant 10 ans, il apparaît clairement, dans cette lettre, qu’il avait des difficultés évidentes à écrire dans un français correct. La lettre, écrite le 12 avril 1889 à St-Alban de Portneuf, nous révèle qu’il écrit au son, un son entendu au Québec plutôt qu’en France. Une lecture attentive de chaque mot et de chaque phrase de cette lettre peut facilement nous convaincre que Pierre Cholet n’a pas acquis son accent et ses notions d’orthographe dans une école en France à St-Malo pendant une dizaine d’années, puis lors de voyages au long cours sur des navires français manœuvrés par des collègues officiers et matelots français de St-Malo. À notre humble avis, le Pierre Cholet qui écrit cette lettre n’a pas vécu en France et n’a pas servi à bord de navires français entre 1845 et 1870.
Selon la plaque patrimoniale, les 2 frères Cholet, Pierre et Toussaint, auraient vécu un premier naufrage en Nouvelle-Écosse à l’âge d’environ 15 ans lors de leur
premier voyage comme matelots en avril 1855 39. Proulx mentionne que la mission du navire français était de se rendre près
des côtes de Terre-Neuve pour éloigner des eaux françaises les navires américains et ceux de la Nouvelle-Ecosse, pour les empêcher d'y prendre le capelan qui
sert à faire la bouette.
40
Les passages du récit de Proulx narrant la carrière maritime au long cours de Pierre Cholet, de même que les passages portant sur les activités de la compagnie maritime Cottin, relèvent de la fiction. En effet, les détails fournis par Proulx sont en contradiction flagrante avec les prescriptions de la législation maritime française de l’époque 41. L’analyse de ces passages en regard de la législation maritime de France de la 2e moitié du XIXe siècle peut à elle seule faire l’objet d’une longue recherche dont les résultats seront éventuellement communiqués dans un autre article. Il serait trop long ici d’expliquer en détail la nature de ces différentes législations qui furent adoptées et amendées par la France aux XVIIIe et XIXe siècles. Pierre Cholet aurait servi dans la marine de commerce ainsi que sur des vaisseaux de guerre.
Pour notre propos, retenons seulement quelques éléments:
Pierre Cholet est né le 28 septembre 1840; le 1er avril 1855, il a 14 ans et 6 mois. Toussaint Cholet est né le 1er novembre 1842; le 1er avril 1855, il a 12 ans et 7 mois. En avril 1855, Pierre et Toussaint Cholet ne sont pas matelots à moins d’avoir triché ou à moins que le capitaine Cottin n’ait trompé l’administration maritime française. Est-ce que le capitaine Cottin et la compagnie maritime Cottin auraient contrevenu à la législation française? Selon nous, une véritable recherche dans les archives municipales, départementales et maritimes de France permettra de prouver toute la fausseté, sinon l’invraisemblance, des faits et gestes accomplis par un Pierre Cholet ou Louis Marin au service de la marine marchande ou militaire de France. Mais reprenons le récit des naufrages.
Parti le 1er avril 1855 de St-Malo, le navire, après une traversée de l’Atlantique fort rapide pour l’époque, aurait fait face à une tempête le 17 avril, frappé des écueils et sombré non loin de Pictou en Nouvelle-Écosse. L’équipage quitte le vaisseau en perdition. 43 membres de l’équipage sur 55 survivent dont Pierre et Toussaint Cholet; les morts sont enterrés sur la grève – avis aux archéologues –. Les survivants sont recueillis à bord de la barque d’un certain capitaine Duquet de Québec, transférés en pleine mer après 10 jours à bord d’un steamer en direction de Boston, ramenés à St-Jean de Terre-Neuve, puis rapatriés à St-Malo à bord d’un navire français.
Ce récit de naufrage comporte plusieurs invraisemblances sur lesquelles nous reviendrons. Soulignons seulement que Shipwrecks of Nova Scotia ne mentionne aucun naufrage à Pictou et dans ses environs en 1855 42. De plus, comme la mer près des côtes de la Nouvelle-Écosse est un lieu interdit à la navigation française et que la mission du vaisseau sur lequel servaient les frères Cholet était de surveiller les pêcheries près des côtes de Terre-Neuve, il semble plutôt bizarre que leur navire dérive vers le sud, si loin de Terre-Neuve, alors qu’il aurait été poussé par un vent du sud-ouest vers les côtes de la Nouvelle-Écosse et aussi près de Pictou.
En 1869, Pierre Cholet et son frère auraient été victimes d’un second naufrage dans le détroit de Belle-Isle au nord-ouest de Terre-Neuve. Selon le récit de Proulx, après son départ de St-Pierre-et-Miquelon et après un bref séjour à Québec pour une livraison de poissons, le navire sur lequel travaillait Pierre Cholet aurait échoué avec fracas sur un rocher – lequel? – dans le détroit de Belle-Isle à la mi-novembre 1869. Après le naufrage et après l’hiver 1869-1870, seulement 3 des 14 membres de l’équipage auraient survécu: le capitaine du navire, Pierre Cholet et son frère Toussaint. Mais, la Feuille officielle de St-Pierre-et-Miquelon tenue par les autorités maritimes de ce territoire français ne contient aucune donnée concernant un navire de la compagnie Cottin commandé par un capitaine Cottin, lequel navire serait parti pour Québec avec une cargaison de poissons pour ne plus revenir au port et sur lequel travaillaient plusieurs marins qui auraient péri en mer ou des suites d’un naufrage dans le détroit de Belle-Isle 43.
Ce récit du second naufrage, comme celui du premier, semble provenir tout droit de l’imagination de Pierre Cholet et de Jean-Baptiste Proulx. Les événements et péripéties du second naufrage sont contestables à plusieurs égards et résistent mal à la critique historique. Signalons toutefois que, dans une version adaptée de L’enfant perdu et retrouvé, Henri-Paul Boudreau prétend, sans donner une référence sur sa source, que le nom du navire qui aurait repêché les 3 survivants du naufrage en avril 1870 était le Niemens 44. Nous avons communiqué avec une archiviste de Terre-Neuve pour obtenir des renseignements sur le Niemens. Le nom du navire n’apparaît pas dans les registres maritimes de Terre-Neuve.
Exit les histoires de naufrage et de voyages au long cours de Pierre Cholet pour le compte de la compagnie maritime Cottin de St-Malo.
Pour mettre fin à sa vie de matelot qu’il jugeait pénible, Pierre Cholet aurait décidé de déserter son poste en 2 occasions. Le récit de Proulx est assez invraisemblable et comporte des anachronismes évidents. La plaque patrimoniale contient elle aussi des erreurs patentes.
Vers la fin de juin 1870, au cours d’une autre mission prétendument pour aller protéger les droits français sur les côtes de Terre-Neuve, Pierre et Toussaint Cholet auraient déserté une première fois leur frégate à St-Jean. Les 2 frères sont dénoncés par 3 habitants, arrêtés par la police de St-Jean, puis ramenés à bord de leur frégate. Au début de juillet, ils seraient passés devant une cour martiale et auraient été condamnés au supplice du fouet: 12 coups pour Toussaint et 20 pour Pierre Cholet. Or, les châtiments corporels ont été officiellement interdits dans la marine de France le 12 mars 1848 45. À la suite de cet improbable châtiment, Pierre Cholet aurait passé 6 semaines au lit, donc jusqu’à la mi-août 1870. Mais, il aurait déserté une seconde fois avec son frère Toussaint au début d’août 1870 à Black Bay au Labrador alors qu’il aurait dû être encore dans son hamac à soigner ses blessures!!! Selon Proulx, les déserteurs étaient au nombre de 7 incluant un sergent. La plaque patrimoniale parle de 6 matelots. Pourquoi les frères Cholet désertent-ils dans une région aussi inhospitalière que celle de Black Bay au Labrador? Ils auraient pu s’évader bien avant à Boston, à Portland ou même à Gaspé.
Du début d’août jusqu’au mois d’octobre 1870, les 2 frères Cholet auraient traversé la partie ouest du Labrador, puis traversé la Côte-Nord du Québec jusqu’au nord de Rivière-au-Tonnerre. Ce périple nord-côtier est un épisode marquant du récit de Proulx; il est décrit brièvement sur la plaque patrimoniale: faim, égarement, mort de Toussaint Cholet sans indication exacte sur le lieu et sur le jour de sa mort. Selon le récit fort imprécis de Proulx, Toussaint Cholet serait décédé au début d’octobre 1870 près d’un grand lac situé à quelques jours de marche de Rivière-au-Tonnerre. Comment les 2 frères peuvent-ils se perdre alors qu’ils possèdent près de 15 ans d’expérience dans la marine de France? Pierre Cholet n’a-t-il pas appris la géographie? Il a navigué jusqu’en Chine, en Jamaïque et au Brésil. Ayant déserté au Labrador, il doit également savoir que le Canada est à l’ouest et peut donc établir que le golfe et l’estuaire du fleuve St-Laurent sont au sud. Pierre et Toussaint Cholet sont des matelots qui maîtrisent assurément de bonnes notions en astronomie et en orientation puisqu’ils ont été formés dans un milieu maritime. Comment peuvent-ils perdre le nord et ne pas se diriger vers le sud pour se rendre au golfe St-Laurent? Pendant leur parcours de plus de 2 mois au Labrador et sur la Côte-Nord, les 2 frères ne font nulle mention des centaines de lacs et des 25 rivières importantes qu’ils ont dû traverser. Si Pierre Cholet parle d’atacas, de conifères rabougris et de lichens moelleux, jamais il ne mentionne le harcèlement des maringouins et des mouches noires. Selon nous, 2 marins de la marine française moderne ne pourraient réaliser en 2008 l’exploit accompli par Pierre Cholet et son frère en 1870 dans les conditions décrites dans le récit de Proulx et selon certains éléments repris par les auteurs du texte de la plaque dite patrimoniale de la côte Ste-Marie.
Selon la plaque patrimoniale, Pierre Cholet se met à la recherche de ses parents dès son retour au Canada en 1870. Le héros de Proulx explique l’insuccès de ses longues recherches pour les retrouver par le fait qu’il croyait s’appeler Louis Marin. Il recherche un père dénommé Marin, nom de famille qu’on l’aurait obligé à porter après son supposé embarquement sur un navire français après son enlèvement en 1845.
Le fils du capitaine [Cottin], qui était le second à bord, nous demanda nos noms. Il dit à Pierre Doucet:
Dorénavant tu t’appelleras Pierre Marin; à moi:Tu t’appelleras Louis Marin; et à Toussaint:Tu t'appelleras Toussaint Marin.Je me rappelle fort bien cette circonstance, où l'on nous imposa de nouveaux noms, sous lesquels nous furent connus dans la suite; vivant au milieu d'étrangers, nous oubliâmes nos noms véritables et ce n'est que bien des années plus tard que je découvris que je m'appelais Cholet, et mon petit cousin Doucet.46
Comment Pierre Cholet peut-il oublier son prénom: celui que ses parents lui ont donné, celui par lequel il était connu à St-Polycarpe par ses amis et sa parenté? Comment peut-il oublier le nom de famille de son petit-cousin Pierre Doucet décédé en mer quelques semaines après son supposé enlèvement par un étranger?
Selon le passage qui suit, le vieux capitaine Cottin aurait demandé aux 3 enfants de lui parler de leur famille. La scène se situe avant l’attribution du nom de famille Marin.
Le capitaine était bien vieux, il avait la barbe toute blanche. II nous fit rester dans sa chambre et il nous questionna bien gros sur notre père, sur notre mère, sur nos autres parents.47
Il est permis de supposer que Pierre Cholet a répondu au vieux capitaine qu’il aimerait bien retourner dans la côte Ste-Marie à St-Polycarpe auprès de son père Hyacinthe, de sa mère Angélique St-Amant, de ses frères et sœurs dont Angélique et Justine. Mais le héros a non seulement oublié son propre prénom et son nom de famille, mais aussi le prénom de son père, le prénom et le nom de famille de sa mère, les prénoms de ses frères et sœurs ainsi que les prénoms et les noms de famille de ses voisins et de ses autres parents. Dans l’intimité en France durant toutes ces années à l’école ou en pension, comment le jeune Toussaint appelait-il son frère: Louis ou Pierre?
Les oublis de Pierre Cholet nous apparaissent inconcevables alors qu’il déclare se souvenir de plusieurs autres détails sur les événements du jour de sa disparition:
J'ai été volé, à l'âge de cinq ans, ou plutôt, pour parler plus juste, de quatre ans, neuf mois et vingt jours, avec un petit frère, Toussaint Cholet, âgé d'un peu plus de trois ans, et un petit cousin, Pierre Doucet, âgé de six ans. Je me rappelle les détails de cet enlèvement, comme si c'était hier. J'y ai pensé si souvent sur la terre étrangère!48
D’autres passages du récit de Proulx nous donnent à comprendre que Pierre Cholet avait encore des souvenirs sur la période de son supposé enlèvement.
Je me rappelle que nous nous amusâmes assez longtemps à casser des harts, au bout desquelles fleurissaient des petits chats. 49
Tout ce que je puis dire, c'est qu'il y avait joliment longtemps que nous avions quitté la maison, et que nous avions marché une bonne distance.50
Tout ce que je me rappelle, c'est que l'île n'était pas grande, qu'il n'y avait point de hauts arbres, et que la terre ferme se trouvait assez loin en vue.51
Tout jeune encore, alors qu’il naviguait vers la France, Pierre Cholet aurait assisté à l’immersion en mer de son petit ami ou petit-cousin Pierre Doucet. Il affirme même que cet événement tragique lui est revenu à la mémoire bien avant son retour au Québec. Le récit de Proulx nous informe aussi que Pierre Cholet avait un excellent souvenir du décès en mer du vieux capitaine Cottin:
On se console vite à cinq ans. J’oubliai, pour lors, mon petit ami; mais, quelques années plus tard, quand ma raison se fut développée, son image est ressuscitée dans mes souvenirs, je le regretai(sic). Comme je donnerais cher aujourd'hui pour le voir partager ma bonne fortune!52
Il [Le vieux capitaine] me fit approcher.
Louis, j'ai une chose à te dire. Tu dois savoir que je ne suis pas ton père; si tu ne le sais pas, je te l'apprends, à toi, parce que tu comprends mieux que ton petit frère. C'est un homme que je ne connais pas, qui vous a volés, qui vous a amenés à moi, et qui vous a vendus. J'ai eu pitié de vous autres. J'espère que le bon Dieu ne me fera pas trop souffrir pour cette action; le vol n'est pas mien. Approche, cher Louis, que je t'embrasse. Aime bien ton frère; écoute le Second, sois bon enfant. Viens, toi aussi, Toussaint, viens m'embrasser.Il pleurait, et nous pleurions avec lui.53
Les paroles du vieux capitaine Cottin du dernier passage dépassent notre entendement. Pierre Cholet sait de toute évidence que le capitaine n’est pas son père auquel un colporteur vient de l’enlever. Pierre Cholet ajoute plus loin qu’il savait déjà en France qu’il était originaire du Canada.
En réalité nous étions de petits prisonniers. Nous savions déjà que nous avions été des enfants volés; par certains mots, échappés par ci, par là, à nos surveillants, nous apprîmes que nos parents étaient du Canada; cependant ni alors, ni plus tard, nous n'osâmes parler de ce sujet au capitaine, sachant que nous serions fort mal venus.54
Si les frères Pierre et Toussaint Cholet savaient qu’ils avaient été volés, qu’ils venaient du Canada et que leur père n’était pas le capitaine Cottin, il est plausible de penser qu’ils se sont interrogés avant l’âge de raison sur leur sort, sur leur parenté, sur leur lieu de naissance et de résidence, et qu’ils n’avaient pas oublié leur véritable nom et prénom, et la côte Ste-Marie de St-Polycarpe.
Le recensement canadien de 1881 nous révèle que le patronyme Marin était relativement fréquent en Gaspésie, mais Pierre Cholet ne s’arrête que quelques heures à Gaspé, un port qu’il aurait déjà fréquenté dans ses voyages au long cours. Il fait le tour de la Gaspésie par la mer en faisant de courtes escales à Percé, Carleton et Ristigouche, mais sans s’informer sur la présence de familles Marin 55. Le héros de Proulx passe ensuite 10 jours dans la région de Matane sans faire de recherches, lesquelles ne commencent sérieusement qu’à Québec:
J’arrivai à St-Denis [Kamouraska] vers la mi-novembre [1870], il neigeait, les chemins devenaient difficiles, je résolus de prendre le bateau pour me rendre à Québec. Le long de ma route, chaque jour, je m'étais informé s'il y avait des familles Marin, on n'en connaissait aucune. A Québec commençaient mes recherches d'une manière sérieuse.56
Selon le recensement de 1881, il y a des familles Marin entre Matane et Québec. Pierre Cholet passe rapidement par Rimouski où siège le diocèse de la région depuis 1867 sans qu’on sache s’il a demandé des renseignements au secrétariat du diocèse. C’est à Québec qu’il apprend de la bouche d’un curé, sans nom, la présence d’un Marin à Richmond. Ni dans les archives ni dans les registres paroissiaux, nous avons trouvé de renseignements sur un dénommé Marin, habitant Richmond, qui réponde au signalement fourni par Proulx 57.
À Richmond, Pierre Cholet apprend la présence d’une famille Marin à St-Jean-sur-le-Richelieu. Selon Proulx, Pierre Cholet arrive chez cette famille Marin de St-Jean pendant l’heure du dîner alors que 12 enfants sont à table. Nos recherches ne nous ont pas permis de trouver un père de famille du nom de Marin ayant une si grande progéniture à St-Jean-sur-le-Richelieu en 1870. Arrivé à Montréal, Pierre Cholet, alias Louis Marin prétend avoir sillonné les rues de cette ville pendant 8 jours à la recherche de familles Marin. Il affirme même s’être adressé à la police pour l’aider dans ses recherches. Il aurait aussi reçu de l’aide pour la consultation des annuaires de la ville. L’Annuaire Lovell de 1869-1870 recense seulement un Narcisse Marin demeurant au 610, rue Dorchester. L’Annuaire Lovell de 1870-1871 ne recense aucun Marin à Montréal 58. Tous les Marin ne sont peut-être pas inscrits au directoire de Lovell, mais Pierre Cholet déclare:
Pendant sept ou huit jours, je parcourus Montréal en tous sens, logeant tantôt dans une extrémité de la ville, tantôt dans l'autre, dînant ici, soupant là: mon argent passait comme le beurre dans la poêle. Je consultai la police, les gros marchands, les petits marchands, les aubergistes, les passants, les curés de la grand'paroisse. Après avoir regardé dans le directoire, on m'adressait chez nombre de Marin qui restaient l'un dans telle rue, l'autre dans telle autre: personne ne répondait au signalement que je donnais.59
Ses recherches étant infructueuses à Montréal, Pierre Cholet poursuit sa quête de Marin vers l’Outaouais. Non loin de Calumet, il aurait été hébergé par un Jean-Baptiste Marin, un hôtelier qui n’était pas son père évidemment. Nos recherches ne nous ont pas permis de trouver dans cette région un Jean-Baptiste Marin, marié et père de 2 jeunes garçons. Pierre Cholet continue vers Ottawa où on lui apprend la présence d’un Marin à Gloucester, Ontario. Le héros se rend à Gloucester et y trouve un Louis Marin qui lui ressemble, mais qui n’est évidemment pas son père. Nos recherches ne nous ont pas permis de trouver un Louis Marin dans l’est de l’Ontario pour la période pendant laquelle Pierre Cholet prétend y avoir cherché un Marin qui serait son père. Une lecture exhaustive du récit de Proulx nous permet d’affirmer que les 11 longues années de recherches de Marin par Pierre Cholet n’ont duré en fait que 2 ans au maximum.
La plaque patrimoniale de St-Polycarpe présente un récit fictif de la période 1845-1881 qui s’appuie uniquement sur l’ouvrage de Jean-Baptiste Proulx dont nous avons déjà démontré toute l’imposture. Les réflexions de cette partie de notre article peuvent sembler inutiles si l’on admet, dès le départ, qu’il n’y a pas eu d’enlèvement par un colporteur, qu’il n’y a pas eu d’embarquement pour la France, qu’il n’y a pas eu de naufrages, d’évasions et de longues recherches pour retrouver des parents portant le nom Marin. Nous pensons toutefois que ces réflexions peuvent servir non seulement à démontrer à quel point le récit de Proulx est faux, mais peuvent aussi servir à confirmer définitivement la fausseté historique de presque tous les renseignements inscrits sur la plaque patrimoniale de St-Polycarpe dédiée à Pierre Cholet.
D’après la plaque patrimoniale, l’illustrateur J.L. Wiseman aurait réalisé un portrait du héros de Proulx en mars 1887. Cette assertion est absolument fausse selon nous. L’édition de L’enfant perdu et retrouvé de 1887 contient 9 illustrations en comptant celle de la page couverture et celle du portrait de Pierre Cholet. Dans l’édition de 1887, l’illustration du portrait du héros ne provient pas du crayon de Wiseman.
Précisons que l’édition de 1887 a connu au moins 2 tirages: un premier de 550 exemplaires après le 18 juin, probablement en juillet, et un second tirage de 450 à la fin de 1887 ou au début de 1888 60. Dans une lettre du 10 avril 1888, reproduite plus bas et adressée au frère Charest, procureur de l’Institution des Sourds-Muets éditrice de l’ouvrage de 1887, Proulx écrit au frère procureur pour lui rappeler qu’un versement de $25 lui est dû en tant qu’auteur de L’enfant perdu et retrouvé. À la fin de la lettre, l’abbé se dit heureux d’apprendre par Le propagateur des bons livres que L’enfant perdu et retrouvé est illustré 61. Il a hâte de voir l’édition dans sa nouvelle toilette. En avril 1888, Proulx vient juste de constater qu’il existe une édition de son ouvrage comportant des illustrations. Les exemplaires du premier tirage n’étaient assurément pas illustrés. Il n’y avait donc pas d’illustration du portrait de Pierre Cholet. La plaque patrimoniale nous apprend pourtant que le portait a été réalisé en mars 1887. À notre avis, Wiseman n’a pas dessiné le portrait de Pierre Cholet en mars 1887, et Pierre Cholet n’a pas posé pour lui. C’est probablement en 1891 que Wiseman a dessiné le portrait à partir d’une photographie remise par l’Institution des Sourds-Muets ou par Pierre Cholet lui-même.
Un regard sur le portrait de Pierre Cholet de l’édition de 1887 nous révèle qu’il est signé par un dénommé Armstrong. Ce dernier demeure probablement au 1592, rue Notre-Dame, à Montréal. Il est propriétaire de l’entreprise Armstrong Photo Engraving Co 62. Le portrait est reproduit plus bas. J.G. Armstrong a notamment réalisé le portrait de Jean-Baptiste Proulx en 1887; une reproduction de ce portrait est aussi présentée plus bas. Armstrong travaille régulièrement au journal Le Monde Illustré pour lequel il dessine divers portraits de personnalités politiques ainsi que des scènes illustrant la vie urbaine et mettant en valeur des monuments ou des bâtiments historiques du Québec et du Canada de la fin du XIXe siècle 63. Toutes les illustrations de l’ouvrage de 1887 sont de Wiseman, sauf celle du portrait de Cholet, et une autre non signée représentant un voilier arborant un pavillon sur lequel est inscrit le mot ACADIE.
Wiseman a bien signé un portrait de Pierre Cholet en 1891 pour l’institution des Sourds-Muets, portrait également reproduit par les Éditions Beauchemin en 1892, lesquelles ont acquis les droits d’auteurs de L’enfant perdu et retrouvé en décembre 1892, voir la reproduction du dessin de Wiseman plus bas 64. Le portrait d’Armstrong et celui de Wiseman sont presque identiques sauf, entre autres, pour la texture du veston que porte Pierre Cholet et pour les rides qui marquent son visage. Nous n’insistons pas sur le procédé qui permet de reproduire des illustrations à l’époque de la publication de l’ouvrage de Proulx. La méthode consistait grosso modo à prendre une photo, puis à reproduire ladite photo par gravure sur une plaque qui servait à l’impression.
L’illustration de Pierre Cholet reproduite sur la plaque patrimoniale est bien celle de Wiseman publiée la première fois en 1891 par l’Institution des Sourds-Muets,
par les Éditions Beauchemin en 1892, puis dans les éditions postérieures des Éditions Beauchemin 65. Mais il est erroné
d’affirmer qu’elle a été réalisée par Wiseman en mars 1887. Il est aussi erroné d’inscrire sur la plaque patrimoniale que le portrait exécuté par Wiseman
figurera parmi les gravures de son livre.
Le livre de qui? À notre connaissance, Wiseman n’a pas écrit de livre sur Pierre Cholet.
Un document intégré au bas de la plaque patrimoniale possède une véritable valeur historique. Il s’agit d’une reproduction d’une enseigne ou d’un panneau sur
lequel apparaît l’inscription PIERRE. CHOLETTE. PENTRE en lettres moulées. Pierre Cholet ne peinturait pas, il penturait
. L’inscription a été peinte en 1907,
puis reproduite des dizaines d’années plus tard sur un nouveau panneau conservé avec sagesse par M. Marcel Cholette de St-Polycarpe
66. Mais s’agit-il d’une signature?
Vers la fin de sa vie, Pierre Cholet aurait fait divers travaux de peinture notamment à St-Polycarpe. C’est ce que nous révèle une lettre de 1960 du Fonds Yves Quesnel: une partie de la transcription de cette lettre est reproduite plus bas 67. L’auteur de la lettre est le père Jean-Baptiste Asselin avec qui correspondait le père Alphonse Gauthier du Collège Bourget de Rigaud. Le père Gauthier avait des doutes sur la véracité du récit de Proulx et allait même jusqu’à penser que le Pierre Cholet, qui aurait retrouvé ses parents après 35 ans, était un imposteur.
Le père Asselin, bien qu’il commette certaines erreurs chronologiques, informe le père Gauthier qu’il a connu personnellement Pierre Cholet en 1906. Il affirme l’avoir vu peinturer l’édifice de la banque Union de St-Polycarpe en 1906, soit un an avant le décès du héros de Proulx. Asselin ajoute que Pierre Cholet a exécuté ses derniers travaux de peinture pour une école de rang du côté nord de la rivière Delisle. Il s’agit d’une ancienne école située près de De Beaujeu, un lieu-dit non loin de St-Polycarpe 68. Pierre Cholet y aurait peint son nom dans le pignon ainsi que le titre mal orthographié de son métier, et ajouté au-dessus de son nom les mots SOUVENIR 1907, ainsi que de chaque côté de son nom un poisson qui ressemble à une morue selon J.R. Koenig:
Pierre Cholet remained a vigorous man up to the time of his death. In the year he died, he carved and painted a wooden sign […] both
as an advertisement of himself as a house painter […] and as a souvenir of his famous story. The fish he carved looks like a codfish.
69
Identifier comme une signature le nom PIERRE CHOLETTE inscrit en lettres moulées dans le pignon de l’école, puis reproduit sur le panneau qui en fut tiré, nous apparaît déplacé. Les lettres semblent avoir été peintes à l’aide d’un gabarit; elles sont uniformes. La véritable signature de Pierre Cholet est présentée plus bas. Elle provient de la lettre du 12 avril 1889 dont nous avons parlé plus haut. Mais la signature moulée constitue bien une preuve tangible de la présence d’un Pierre Cholet à St-Polycarpe, présence confirmée par un témoin externe qui affirme l’avoir connu au moment où il faisait divers travaux de peinture pour des clients habitant cette municipalité. Il existe peut-être d’autres documents dans les archives des commerces, des institutions et des citoyens de St-Polycarpe sur ce Pierre Cholet exerçant à la fin de sa vie le métier de peintre en bâtiment dans notre région.
L’érection d’une plaque patrimoniale dans la côte Ste-Marie de St-Polycarpe en septembre 2007 pour commémorer le 100e anniversaire du décès de Pierre Cholet peut certe être considérée par plusieurs comme un effort méritoire pour rappeler la tragédie de la disparition de 3 jeunes enfants dont les familles ont pleuré la perte. Toutefois, cette plaque offre aux visiteurs un témoignage plutôt affligeant de la pauvreté des recherches historiques au sujet d’un événement ayant marqué la mémoire de nos grands-parents. Comme la source primaire des textes de cette plaque est le faux produit par Jean-Baptiste Proulx en 1887, le résultat affiché ne constitue pas un bon exemple de diffusion de notre histoire régionale et de l’Histoire en général. Le petit roman de Jean-Baptiste Proulx n’est pas une source fiable puisqu’il est truffé d’erreurs: chronologie déficiente ou fautive; données généalogiques non probantes, sources non vérifiées et difficilement vérifiables, etc. Cette plaque nuit à la compréhension d’un événement tragique qui mérite un meilleur examen et une analyse plus judicieuse et approfondie des sources disponibles. Plusieurs sources restent encore à découvrir, à explorer et à exploiter.
La difficulté avec un faux, avec le récit fictif ou mythologique de Proulx sur Pierre Cholet, est de discerner, parmi les inexactitudes qu’il comporte, les éléments qui demeurent vrais ou susceptibles de confirmer des faits véridiques. Le récit de Proulx et le texte de la plaque patrimoniale contiennent des faussetés qui ne servent qu’à alimenter l’improbable quête mythique de Pierre Cholet. Mais, il n’en demeure pas moins que des enfants sont disparus en 1846 et qu’un Pierre Cholet a été reconnu par ses parents très longtemps après sa disparition. De nouvelles recherches doivent être entreprises sur les aventures de Pierre Cholet et sur Jean-Baptiste Proulx duquel il ne faut pas entièrement rejeter le récit qu’il a rapidement composé en 1886-1887 dans des circonstances qui n’avaient jamais été mises en lumière jusqu’à ce jour 70.
On a perdu Pierre Cholet. Le Pierre Cholet décrit sur la plaque de la côte Ste-Marie de St-Polycarpe n’est que le timide héros d’un récit non appuyé par des sources authentiques et vérifiables. Le véritable Pierre Cholet reste à découvrir et sa vie à réécrire en utilisant les sources nouvellement mises au jour, et d’autres sources insoupçonnées. Dans le cadre du 225e anniversaire de la création de la seigneurie de Nouvelle-Longueuil en 2009, il serait bon, à notre humble avis, de penser à remplacer la plaque actuelle dédiée à Pierre Cholet par une autre qui rende plutôt hommage aux 3 enfants qui ont disparu le mardi 7 juillet 1846, et non pas le vendredi 7 juillet 1845 comme l’affirme Jean-Baptiste Proulx et les cohortes qui le suivent depuis des lustres. La plaque actuelle devrait être rangée et conservée comme une archive témoignant d’un épisode aberrant qui illustre encore notre histoire régionale, mais un épisode ô combien inspirant pour des recherches futures!
Jean-Luc Brazeau
Copyright © Centre d’histoire La Presqu’île, 2008.
L’illustrateur J.L. Wiseman a réalisé ce portrait en mars 1887. Il figurera parmi les gravures de son livre.
L’avant-midi du 7 juillet 1845, Pierre part pour aller aux framboises, non loin d’ici, accompagné de son frère cadet, Toussaint et de son petit cousin, Pierre Doucet, demeurant dans la maison d’en face. Un étranger les attire à lui pour ensuite les faire monter dans une charrette. Ils voyagent toute la journée et toute la nuit. Quelques jours plus tard, ils sont vendus à un capitaine de bateau. Pierre portera dorénavant le nom de Louis Marin. Ils sont emmenés à Saint-Malo en France. Son petit cousin meurt pendant la traversée. Quant à Louis (Pierre) et son petit frère, Toussaint, ils demeurent huit ou neuf ans en pension où ils reçoivent leur éducation.
À l’âge d’environ quinze ans, Louis et son frère deviennent matelots. À leur premier voyage, le vaisseau fait naufrage au cours d’une tempête de neige près de Pictou en Nouvelle-Écosse. Heureusement, ils survivent.
À l’automne 1869, après être parti du port de Québec, le vaisseau échoue sur la côte du Labrador. Cinq survivants passent l’hiver à bord de l’épave prise dans les glaces. Ce n’est qu’à la fin d’avril que trois d’entre eux seront secourus, les deux autres étant morts.
Après une première désertion ratée à Terre-Neuve, c’est sur la côte du Labrador qu’un petit groupe de six matelots prennent la fuite. Ils se séparent, et Louis accompagne Toussaint. Ils se cachent un certain temps et ils se perdent en voulant regagner la mer.
Ils mangent très peu et perdent leurs forces. Toussaint meurt quelques jours après.
Du Labrador à Gaspé, Louis remonte jusqu’à Québec où il fait mettre une annonce dans les journaux concernant l’enlèvement de trois petits enfants portant le nom de Marin. Il ne se souvenait pas qu’on lui ait donné un autre nom.
Le hasard voulu qu’un jour, il raconte ses aventures à une demoiselle, qui en parla à ses parents. Aussitôt, la mère fit le lien avec la disparition des enfants Cholette de Saint-Polycarpe.
En peu de temps, Pierre Cholette, alias Louis Marin, retrouve ses parents qui le reconnaissent comme leur enfant.
Le 7 décembre 1907, le personnage de toute une époque venait de disparaître.
Pierre Cholette a peinturé l’école de rang du haut de la Rivière-à-Delisle Nord, au printemps de 1907. Il a peint son nom dans le haut du pignon faisant face au chemin de la côte Sainte-Marie. Quelques dizaines d’années plus tard, on a repeinturé l’école et on a fait une matrice de sa signature. On a reproduit cette dernière sur un morceau de bois, et on l’a apposée au même endroit. L’école n’existe plus, mais l’enseigne, oui !
[…] Pierre Cholet’s father stated that Pierre
returned thirty-five years later, in September 1880 at the age of forty. But using the careful dates of the text it is more probable that Pierre was returned
with his family a year later in September 1881.
J.R. Koenig, translated and annotated by. Lost and Found Again or Pierre Cholet. New York,
2007. p. 153Décret qui abolit les peines corporelles dans la marine, Bulletin des lois de la République française. Xe Série. Premier semestre de 1848 (2e partie) contenant les lois, décrets et arrêtés d’intérêt public et général publiés depuis le 24 février jusqu’au 30 juin, Imprimerie nationale, Paris, 1848, No 105, Bulletin 9, page 91. La peine du fouet est notamment pratiquée par la marine et l’armée britanniques jusqu’à la fin du XIXe siècle. Depuis le XVIIIe siècle au moins, la France a remplacé le fouet par d’autres châtiments. Selon la gravité du délit, les tribunaux ou autorités maritimes font appliquer les punitions suivantes: la relégation au cachot, la privation de vin ou de nourriture et les fers. La marine de France faisait aussi subir au condamné le supplice de la cale: le condamné était attaché au bout d’un câble, jeté à la mer, ramené, puis rejeté de nouveau à la mer jusqu’à épuisement du condamné. Pour les fautes plus graves comme la désertion, on faisait courir la bouline au condamné. Une bouline (bow line) est un câble qui permet de tirer, d’ajuster et de dresser des voiles. Le supplice de la bouline consistait à fixer un câble sur toute la longueur d’un navire et d’y passer un anneau auquel était attaché par les mains le condamné. La tête recouverte d’un panier, le condamné devait parcourir toute la longueur du navire à 2 ou 3 reprises pendant que les autres membres de l’équipage le frappaient à l’aide d’un bout de câble imbibé de goudron, une garcette
Lettre de St-Alban de Portneuf du 12 avril 1889. Pierre Cholet à Jean-Baptiste Proulx, P107/99-1240, BAnQ.
Lettre de St-Raphaël de l’Île-Bizard du 10 avril 1888. Jean-Baptiste Proulx au frère Charest de l’Institution des Sourds-Muets, P107/99-1240, BAnQ.
Gravure de Pierre Cholet par J.L. Wiseman, Jean-Baptiste Proulx. L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet. Les Éditions Beauchemin, Montréal, 1926. p. 8, ainsi qu’au début de L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet. Institution des Sourds-Muets, Mile-End, 1891.
Gravure de Pierre Cholet par Armstrong dans Jean-Baptiste Proulx, L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet. Institution des Sourds-Muets, Mile-End, 1887. p. III.
Gravure de Jean-Baptiste Proulx par Armstrong, Le Monde illustré. vol. 4 no 180. p. 189 (15 octobre 1887)
Extrait d’une lettre du père Jean-Baptiste Asselin retranscrite par le père Alphonse Gauthier, Fonds Yves Quesnel, P04/C2,289 (Famille Cholette), Centre d’histoire La Presqu’île.
Signature authentique de Pierre Cholet au bas d’une lettre du 12 avril 1889, P107/99-1240, BAnQ.