27 mai 1831 : Lettre de Franà§ois-Charles à  Saveuse

Résumé de la lettre

Franà§ois-Charles écrit à  son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu, habitant au Canada. Il a reà§u l'avance d'argent que son frère lui a faite pour payer ses dettes, mais il lui explique encore à  quel point leur situation financière reste précaire. La situation en Europe est anarchique selon les dires de Franà§ois-Charles.

Mots clés

Organisation sociale, activités économiques, réalités politiques

Transcription


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Lettre du 27 mai 1831, page 1

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Plessis Chamant, ce 27 may 1831

Mon ami, après avoir tiré une lettre d’échange de £140 #
sterlings sur Mr Logan, suivant le pouvoir qu’il m’en avait
donné, je viens de recevoir le montant de laditte somme qui,
comme tu le vois, diffère de celle de £166 sterling, cours
d’Halifax, que tu m’annonces dans ta dernière lettre[1].
J’ignore, mon ami, de quel cà´té provient cette erreur; cependant
Mr Logan me mande, que ta lettre à  lui, ne porte que 140 £ sterling.
Quoiqu’il en soit, je perds à  cela plus de cinq cents francs,
si toutes fois, tu ne t’es pas trompé dans tes chiffres.

Non, non, mon cher frère, il n’est pas dans mon à¢me de douter
du vif interàªt que tu prends à  mon malheur. Crois bien, ami,
qu’un tel doute me serait trop pénible, pour màªme en concevoir
une seule pensée; car me plaisant à  juger de tes sentimens
par ceux que je te porte; nos peines doivent àªtre communes.
aussi me le prouve-tu par le sacrifice que tu fais en ce moment,
pour moi; ce dont je te remercie de tout mon cÅ“ur; malgré
cependant l’affreuse misère que nous allons éprouver pendant
trois ans[2], car je préfère, et je serai moins à  plaindre de ne
manger que du pain; que je le serais en voyant chaque jour,
une troupe de créanciers, m’apostrophant en me disant quand
donc me payerez-vous? Puisse la providence m’accorder encore
trois années, afin de m’acquitter (j’entends de tes avances) car
sois certain, mon ami, que je conserverai toute ma vie la dette
de reconnaissance que je contracte aujourd’huy, avec toi.


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Lettre du 27 mai 1831, page 2

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Ma femme s’est vue depouillée de ses deux pensions,
une de quatre cents francs sur la cassette; l’autre de six,
sur la liste civille[3]. Joins à  ce bonheur, que nous devons
plus que jamais regarder comme illusoires, nos indemnités
sur St Domingue[4]. Cela posé, nous n’avons plus que mes
douze cents francs de retraite sur lesquels, payant quatre
cents francs de loyer; 800#, forment donc tout notre avoir.
Juge, ami, du sort brillant de ton vieux frère?

Notre bonne et bien aimée Beaujette est donc au moment de
laisser notre vallée de larmes[5]? Elle fut ma prémiére amie,
ma prémiére compagne, toujours elle me fut bien chère!
Aussi puissent mes fervantes prieres pour sa paix future,
àªtre éxaucées de notre Divin Rédempteur!

Je ne te dirai rien de notre vieille Europe, je la crois parvenue
à  la chutte de la roue, ainsi finirent tous les empires[6]!
Ainsi finira-telle! L’anarchie déjà , nous présente sa tàªte
éffrayante, la guèrre, non moins affreuse, nous menace de
toutes parts, Dieu seul sait ce qu’il en adviendra!

Ma femme avec sa fràªle santé, supporte avec la plus
courageuse énergie, notre affreuse infortune, elle seule
soutient mon faible courage. Elle se multiplie, car tout
l’ouvrage de notre triste solitude, se fait par ses faibles
mains, depuis que nous sommes sans aucun domestique.


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Lettre du 27 mai 1831, page 3

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Tu ne me dis pas un mot de tes aimables enfans?
Ta fille se marie-t-elle[7]? George, jeune tàªte, il est vrai,
mais bon et loyal te promet mille consolations dans tes
vieux jours. Et ton excèllente compagne? Pourquoi ne m’en
dis tu rien? Crois tu que tout ce qui tient à  mon frere, ne
tient point à  mon cÅ“ur?

Adieu, mon ami, que la providence vous conserve tous
heureux et bien-portants; en àªtre persuadé, sera du moins
un adoucissement à  mes peines. Offre, nous t’en prions,
mille amitiés de notre part, à  tous les tiens et reà§ois de
ma femme et de ton frére l’assurance de nos inaltérables
sentimens.

Toujours à  toi, et toujours ton bon frère


P03/A.277, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le

Notes

  1. 140 livres sterling font pourtant environ 166 livres cours d'Halifax. Ce qui donne environ 4 000 francs. Franà§ois-Charles pense qu'il y a eu une erreur et qu'il perd 500 francs, mais en fait le calcul est bon. Cette somme servira enfin à  rembourser sa dette de 4 000 francs qu'il dit traà®ner.
  2. L'avance que Saveuse fait à  Franà§ois-Charles se remboursera à  màªme la pension qui lui est due sur la succession de Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil et qui est de 1 200 francs annuellement. Donc, trois fois 1 200 francs font 3 600 francs.
  3. Dans la lettre du 6 janvier 1831, nous avons fait mention d'un montant de 1 000 francs que Louise Bénédicte perdait sur la liste civile. Ce montant était constitué de 400 francs qui provenait de la cassette du Roi Louis XV parrain de Louise Bénédicte et d'un autre montant de 600 francs.
  4. Le processus d’indemnisation des anciens colons de St-Domingue fut long et complexe et il est aisé de comprendre les désillusions de Franà§ois-Charles à  ce sujet lorsque l’on sait que le 12 avril 1825, suite à  un accord passé entre la France et son ancienne colonie, la République d'Haà¯ti s’était engagée à  rembourser une indemnité de 150 millions, payable en cinq années, aux anciens colons de St-Domingue dépossédés de leurs propriétés. Un second traité passé le 12 février 1838 réduisit cette indemnité à  la somme de 90 millions remboursable sur trente années.
  5. Pour le dévot, l'expression vallée de larmes oppose la dureté du monde actuel au bonheur promis par la foi religieuse dans une vie future, après la mort. Il est probable que Beaujette ait été très malade et proche de mourir. Mais nous savons qu'elle décèdera seulement le 26 aoà»t 1846.
  6. En 1830, l'Angleterre s'empressa de reconnaà®tre la monarchie de juillet et les autres souverains signataires de l’alliance (Autriche, Prusse, Russie) décidaient de ne pas intervenir et de reconnaà®tre à  leur tour le nouveau régime. L’exemple franà§ais et l’absence de réaction internationale provoquent alors une série de mouvements nationalistes et libéraux à  travers toute l’Europe.
  7. Catherine-Charlotte n'est pas encore mariée au moment o๠Franà§ois-Charles écrit cette lettre. Voir la biographie de Catherine-Charlotte.
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