Franà§ois-Charles écrit à son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu, habitant au Canada. Il a reà§u l'avance d'argent que son frère lui a faite pour payer ses dettes, mais il lui explique encore à quel point leur situation financière reste précaire. La situation en Europe est anarchique selon les dires de Franà§ois-Charles.
Organisation sociale, activités économiques, réalités politiques
Plessis Chamant, ce 27 may 1831
Mon ami, après avoir tiré une lettre d’échange de £140 #
sterlings sur Mr Logan, suivant le pouvoir qu’il m’en avait
donné, je viens de recevoir le montant de laditte somme qui,
comme tu le vois, diffère de celle de £166 sterling, cours
d’Halifax, que tu m’annonces dans ta dernière lettre[1].
J’ignore, mon ami, de quel cà´té provient cette erreur; cependant
Mr Logan me mande, que ta lettre à lui, ne porte que 140 £ sterling.
Quoiqu’il en soit, je perds à cela plus de cinq cents francs,
si toutes fois, tu ne t’es pas trompé dans tes chiffres.
Non, non, mon cher frère, il n’est pas dans mon à¢me de douter
du vif interàªt que tu prends à mon malheur. Crois bien, ami,
qu’un tel doute me serait trop pénible, pour màªme en concevoir
une seule pensée; car me plaisant à juger de tes sentimens
par ceux que je te porte; nos peines doivent àªtre communes.
aussi me le prouve-tu par le sacrifice que tu fais en ce moment,
pour moi; ce dont je te remercie de tout mon cÅ“ur; malgré
cependant l’affreuse misère que nous allons éprouver pendant
trois ans[2], car je préfère, et je serai moins à plaindre de ne
manger que du pain; que je le serais en voyant chaque jour,
une troupe de créanciers, m’apostrophant en me disant quand
donc me payerez-vous? Puisse la providence m’accorder encore
trois années, afin de m’acquitter (j’entends de tes avances) car
sois certain, mon ami, que je conserverai toute ma vie la dette
de reconnaissance que je contracte aujourd’huy, avec toi.
Ma femme s’est vue depouillée de ses deux pensions,
une de quatre cents francs sur la cassette; l’autre de six,
sur la liste civille[3]. Joins à ce bonheur, que nous devons
plus que jamais regarder comme illusoires, nos indemnités
sur St Domingue[4]. Cela posé, nous n’avons plus que mes
douze cents francs de retraite sur lesquels, payant quatre
cents francs de loyer; 800#, forment donc tout notre avoir.
Juge, ami, du sort brillant de ton vieux frère?
Notre bonne et bien aimée Beaujette est donc au moment de
laisser notre vallée de larmes[5]? Elle fut ma prémiére amie,
ma prémiére compagne, toujours elle me fut bien chère!
Aussi puissent mes fervantes prieres pour sa paix future,
àªtre éxaucées de notre Divin Rédempteur!
Je ne te dirai rien de notre vieille Europe, je la crois parvenue
à la chutte de la roue, ainsi finirent tous les empires[6]!
Ainsi finira-telle! L’anarchie déjà , nous présente sa tàªte
éffrayante, la guèrre, non moins affreuse, nous menace de
toutes parts, Dieu seul sait ce qu’il en adviendra!
Ma femme avec sa fràªle santé, supporte avec la plus
courageuse énergie, notre affreuse infortune, elle seule
soutient mon faible courage. Elle se multiplie, car tout
l’ouvrage de notre triste solitude, se fait par ses faibles
mains, depuis que nous sommes sans aucun domestique.
Tu ne me dis pas un mot de tes aimables enfans?
Ta fille se marie-t-elle[7]? George, jeune tàªte, il est vrai,
mais bon et loyal te promet mille consolations dans tes
vieux jours. Et ton excèllente compagne? Pourquoi ne m’en
dis tu rien? Crois tu que tout ce qui tient à mon frere, ne
tient point à mon cÅ“ur?
Adieu, mon ami, que la providence vous conserve tous
heureux et bien-portants; en àªtre persuadé, sera du moins
un adoucissement à mes peines. Offre, nous t’en prions,
mille amitiés de notre part, à tous les tiens et reà§ois de
ma femme et de ton frére l’assurance de nos inaltérables
sentimens.
Toujours à toi, et toujours ton bon frère
P03/A.277, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le
vallée de larmesoppose la dureté du monde actuel au bonheur promis par la foi religieuse dans une vie future, après la mort. Il est probable que Beaujette ait été très malade et proche de mourir. Mais nous savons qu'elle décèdera seulement le 26 aoà»t 1846.