Franà§ois-Charles écrit de Londres à son oncle Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil habitant au Canada. Dans cette lettre, il remercie son oncle des secours qu’il lui envoie. Il dit avoir une dette envers M. Brickwood et veut emprunter à son oncle l’argent nécessaire au remboursement de celle-ci. Il mentionne aussi l'existence de Toussaint Louverture qui serait maà®tre de St-Domingue. Franà§ois-Charles vit maintenant à la campagne o๠il partage son temps entre l’éducation de son fils et le jardinage.
Activités économiques, organisation sociale
Mon très cher oncle
Recevez les sincères remercimens que je dois à votre dernier
procédé pour moi, c’est je vous assure avec la plus vive
reconnoissance que mon cœur s’acquitte de cette dette.
Mais quoique depuis cinq ans je reà§oive des secours
de votre générosité, et néprouve que des bontés de votre part;
je suis trop franc pour ne pas vous dire que souvent
mon fils et moi nous manquons des choses de la
prémière nécéssité[1]. Les secours du gouvernement ainsi
que ceux que vous voulez bien m’accorder, ne font à nous
deux, que quatre guinées et quelques sols par mois.
d’après cela, mon cher oncle, vous pouvez juger aà®sement,
pour peu que vous connoissiez l’Angleterre; et l’entretient
d’un enfant de l’à¢ge de mon fils, que ce que je viens
de vous dire, n’est que trop vrai Gardez vous de croire cependant,
que le détail que je vous fait icy, soit pour obtenir de
vous quelqu’augmentation; vous ne pouvez faire que ce que
vous faites? Ce seroit donc une ingratitude et une indiscrétion
affreuse, de vouloir vous gàªner, pour me mettre à mon aise?
Je dois supporter mon sort, à la providence a faire le reste.
Ce détail, mon cher oncle, ne vient donc qu’a l’appui des
dettes que j’ai contracté avec Mr Brickwood, qui montent à
cinquante cinq guinées. Depuis quatre ans a plusieurs
époques différentes, ce galant homme m’a retiré des plus
cruels embarras. Sans lui, lors de mon accident qui me
couta très cher, je serois mort faute de secours. Voila
donc, comme vous pouvez l’imaginer, des dettes bien sacrées
pour une à¢me honnàªte? J’espérois toujours que les affaires
de St Domingue venant méilleures, me mettroient a màªme
de le rembourcer, mais le tems fuit, rien ne change, et il
est tout simple que cet homme ayant besoin de son argent
me prie de vous en parler. Je le fais quoiqu’a regret d’après
surtout votre derniere lettre[2], o๠vous me mandez que vous ne
pouvez rien faire de plus pour moi. Mais, mon cher oncle,
s’il vous est possible de lui solder cette somme; je ne suis
pas encore sans éspoir sur St Domingue, je m’engage
a vous la remettre dans un moment plus heureux, ce n’est point
à titre d’emprunt, mais c’est bien une grà¢ce que je demande
à un bon parent, à un bon ami, au méilleur des oncles,
c’est enfin une grace qui tient à mon honneur, et cet honneur
tient au votre.
On parloit il y a quelques mois, que le gouvernement d’Angleterre
faisoit un traité de commerce, avec un mulatre nommé
Toussaint l’aventure[3] qui s’est rendu maitre de St Domingue.
Ce traité nous sera très avantageux, s’il réussit puisque
nos habitations doivent nous àªtre rendues; mais nous
n’avons encore rien appris à ce sujet.
Relégué depuis cinq ans dans une campagne à six
mille de Londres[4], o๠je partage mon tems à l’education
de mon fils, et au jardinage; il n’est pas étonnant que
je sois ignoré des familles qui sont passées en Canada .
En tout tems, màªme dans celui de ma fortune, le cercle
de ma société a toujours été fort restreint[5]. J’ai été assez
heureux pour y avoir quelqu’amis, je vivois dans leur
intimité, le faste la multitude, n’étant nullement de mon
gout. Quant à la famille de Vaudreuil, je l’ai vuà« quelquefois
à Paris. Mais je les regardois plutà´t comme des
protecteurs ( qui cependant ne m’ont pas protégé ) que
comme des amis. Depuis mon émigration je les ai
perdu de vuà«. Je sais cependant que le comte grand
fauconnier[6], s’est marié il y a deux ans à une de ses
nieces, fille du marquis de Vaudreuil et qu’il est
actuellement avec elle à Édimbourg, auprès du comte
d’Artois[7].
Permettez, mon cher oncle, que je vous parle actuellement
de votre santé, de celle de mon aimable tante; ces objets,
je vous l’avoue, me sont plus intéressants que tout le reste,
ils tiennent à mon cÅ“ur, la conversation m’en doit àªtre
plus précieuse. Qu’il me seroit doux d’àªtre témoin
oculaire de votre bonheur; de prodiguer à vous, à la
chere moitié de vous màªme, les soins tendres et respectueux
que je vous dois. Qu’il me seroit doux enfin d’àªtre connu
d’une famille dont l’éloignement fait ma principale peine,
et dont la seule présence peut adoucir l’amertume de mes
maux.
Adieu, mon très cher oncle et ma très chère tante,
vivez a jamais heureux, accordez moi le màªme attachement
que celui que je vous porte, et ne doutez pas du respect
infini avec lequel je suis.
Votre très humble et très
obéissant serviteur et neveu
Londres ce 1r avril 1799.
De Beaujeu.
P03/A.225, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le