Franà§ois-Charles écrit de Londres à son oncle Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil habitant au Canada. Il réfute dans cette lettre les prétentions voulant que l’argent envoyé par son oncle ait servi pour soutenir la maison de son beau-frère avec qui il vit. De plus, il donne une explication sur une mésentente concernant l’envoi de 20 guinées par M. Robertson. Il s’offusque que JDE puisse croire qu’il dépense son argent d’une faà§on inconsciente et lui raconte qu’il s’est blessé à un doigt. La fin de la lettre manque.
Activités économiques, organisation sociale
De Londres, ce 1r avril 1798
Mon très cher oncle
Votre lettre de l’année derniere[1], que j’ai reà§u par les derniers
vaisseaux, loin de porter ( comme j’avois lieu de l’espérer )
le calme dans mon cœur; n’a fait, je suis trop franc,
pour ne pas vous le dire, qu’accroitre mes tourmens, et me
montrer que le malheureux est seul sur la terre. Non, non,
mon cher oncle, je ne me serois jamais attendu à des
reproches aussi peu mérités que ceux que vous me faites.
J’ignore encore quel est l’homme serviable qui a p໠vous
donner des renseignemens sur ma conduite, et ma manière
de vivre en Angleterre[2]. Oui, il est très vrai, que de puis
huit ans, en France, aussi bien que dans notre émigration,
la maison de mon beau frere et la mienne, ont été la
màªme; mais ce qui est de toute fausseté; c’est de dire
que l’argent que vous avez eu la bonté de m’envoyer depuis
que je suis en Angleterre, ait servi a soutenir ces màªmes
parens. Le mari de Madame de Bongars[3], qui depuis
quatre ans n’a pas quitté St Domingue, lui a fait passer
a différentes fois, quelques petites sommes, qui avec
les secours du gouvernement; l’ont mise à màªme de
n’avoir aucun recours sur mes foibles moyens pécuniers[4].
Voilà l’exacte vérité, mon cher oncle, et qui conque dira le
contraire, je le regarderai comme homme bas, vil, et menteur.
Dailleurs, mon cher oncle, si je vous étois connu, jamais
j’ose le croire, le rapport de ces sortes de gens, n’auroit
influé en aucune manière sur votre esprit, voilà mon vrai
malheur, les miens sont des étrangers pour moi, aà®sément
on peut me déservir près d’eux, puisqu’ils ne connoissent de
moi, que mon nom . Je me tais sur ce sujet, pour
passer à un autre de votre lettre, qui ne m’a pas moins
affecté et qui est encore une énigme.
Vous me dites avoir payé a Mr Robertson vingt livres
qu’il me pràªta lors de son voyage en Angleterre?
Il est bien vrai que dans ce tems, forcé par la derniere
misere, j’aurois crà» ne pas connoitre votre cÅ“ur, et interpràªter
mal votre faà§on de penser; que de ne pas oser prier Mr
Robertson de m’avancer sur votre compte une somme
qui quoique modique me donnoit du pain ainsi qu’a
mon fils. Mr Roberson dut vous remettre alors une
lettre que j’avois l’honneur de vous écrire à ce sujet[5].
Mais quoique je me flatasse à cette époque que cette
demarche ne pouvoit vous déplaire, je fus quelques jours
après entierement rassuré, en recevant une lettre de vous
dattée de Montréal dans la quelle vous me mandiez
Tu as du voir à Londres Mr Robertson, je l’ai chargé
de te remettre vingt livres. Cette lettre n’etoit pas de votre
écriture, mais signée de votre main. Je fus aussità´t chez
Mr Brickwood et lui fis part de l’etonnement ou j’étois,
que Mr Robertson, chargé par vous de me remettre
cette somme, ne m’en eut pas parlé, et m’eut laissé faire
une démarche, qui quoique très simple entre bons
parens, pouvoit peut àªtre vous indisposer . Daprès cela,
mon cher oncle, je dois àªtre bien étonné du reproche
que vous me faites a ce sujet, vous vouliez me donner
vingt livres, ou vingt guinées, je n’ai reà§u que cette
màªme somme. Mettons que j’aye pàªché par la
forme, j’y consens, mais vous n’avez pas deboursé
un sol de plus, ou bien, on vous a trompé.
Il paroit encore daprès votre lettre; que je suis un boureau
d’argent et qu’il m’est très indifférent d’épuiser votre bourse?
Vous ne connoissez donc pas l’Angleterre, mon cher oncle,
pour croire qu’il faille àªtre un prodigue, pour dépenser
soixante et dix guinées, que j’ai reà§u de vous depuis
quatre ans, moi, mon fils et un domestique qui s’est
emigré avec moi[6]. A l’époque o๠j’ai reà§u votre dernière
lettre, je venois d’eprouver un accident qui seul m’a
couté douze guinées. Un fusil qui creva dans ma main
quelques jours auparavant m’emporta la moitié d’un
doigt et me fit quatre autres blessures très considérables.
J’en suis actuellement parfaitement guéri, mais je n’ai
pas encore l’usage de ma main, cependant j’eprouve
du mieux tous les jours.
Je n’ai pas vu Lord d’Orchester[7], les grandeurs et ma
pauvreté ne vont pas ensemble. Dailleurs les secours du
gouvernement dont vous me parlez, je les ai obtenus depuis
un an, ainsi mon fils et moi; nous avons un revenu de
deux guinées et demie par mois, voila toute ma fortune
Dieu Soit loué. Les affaires de St Domingue[8] ne vont ni
ne viennent, il faut en faire son deuil, le mien est fait, et
si ce n’etoit mon fils, je le ferois aussi de ce monde, o๠je ne
vois rien qui m’y attache.
P03/A.222, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le