Franà§ois-Charles écrit de Senlis à son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu habitant au Canada. Il le remercie pour l’argent et le portrait qu’il lui a envoyés. Il lui explique qu’il lui envoie aussi son portrait et qu’il vient de perdre son emploi dans les foràªts. Il est question de la mort de son frère, Louis-Joseph.
Activités économiques, organisation sociale
Primata[1]
Senlis ce 25 mars 1818.
J’ai reà§u, mon cher frere, les cinquante huit livres sterling
dont vous aviez chargé Mr Hart Logan[2], pour moi. recevez en
je vous prie, mes sincères remercimens ainsi que ceux que je vous
dois pour l’aimable envoi de votre portrait[3]. Votre à¢me se peindra
facillement toute la sensibilité de la mienne, lorsque je vis les traits
d’un frere que j’ai toujours chéri, sans màªme le connoitre, d’un ami
que la nature m’avoit donné et dont un destin contraire
m’a séparé. Oui, mon ami, j’ai toujours mis au nombre de mes
plus cuisants chagrins, celui que dès mon enfance, m’a fait
éprouver l’éloignement des miens[4]. Enfin, mon cher frere
si Dieu m’a privé du bonheur de vous connoitre, du plaisir
de vous serrer dans mes bras; du moins m’a-t-il laissé
la douce consolation de penser, que vous comptez sur ma vive
amitié, autant que mon cÅ“ur aime à se persuader de la và´tre.
Je viens de faire encadrer votre portrait; il devient ma seule
société, parce que le malheureux est toujours délaissé et qu’après
une révolution aussi affreuse que la notre; il est bien rare de
conserver des amis, c’est donc lui qui les remplace; que n’est-ce
vous màªme, mon cher frere! Ah! mes peines ne seroient
pas aussi poignantes!
J’aurois voulu, mon ami, vous envoyer mes vieux traits,
mieux déssinés qu’ils ne le sont; mais la mendicité ( le terme
n’est pas trop fort ) o๠je me trouve, m’a privé de suivre
le désir que j’avois d’aller à Paris, me faire peindre, ce qui ne
m’auroit coà»té que six louis; mais six louis! o๠les prendre?
Dans un moment o๠je perds une place dans les foràªts royales,
poste qui ajoutoit douze cents francs[5] à une éxistence déjà
très foible. Je me plais à croire cependant, que vous agréerez
cette foible copie qui me ressemble beaucoup[6], elle vous donnera
une idée de votre malheureux frere, c’est le seul mérite que
j’y trouve.
Je vous assure, mon ami, que malgré que je n’eusses jamais eu
le plaisir de connoitre le ch[evali]er, au moins par ses lettres,
que sa perte m’a été infiniment sensible[7]. La nature peut elle
perdre ses droits dans une à¢me bien née? Aussi mes larmes
ont coulées pour lui.
Je vois, d’après votre portrait, que vous jouissez d’une parfaite
santé? Ah conservez ce précieux trésor, il appartient aux
àªtres aimables qui vous entourent; gardez vous bien ( ainsi que
notre infortuné frère ) d’hazarder une vie qui nous est aussi précieuse.
J’ai soixante et un ans et quatre mois[8], vingt huit années
de souffrances[9], et Dieu m’a conservé la santé! J’en rends
grace à sa sage providence, que ferois-je réduit a la misère
seul au monde, si j’étois infirme? Je n’aurois plus la
main d’un fils pour soulager mes peines; car il y a tout
lieu de penser qu’il n’est plus ce bon Amédée, seule consolation
que j’aurois pà» opposer à mes malheurs!
Veuillez, mon ami, me rappeller au souvenir de votre aimable
compagne, parlez lui quelquefois d’un frère qui, aime tout ce qui
vous appartient. Dites aussi à votre jolie famille, que le vieil
oncle, lui envoye mille et mille caresses.
Vous avez bien raison, mon ami, de donner tous les soins
possibles à perfectionner le moral de vos chers enfans; quel
trésor pourriez vous leurs laisser qui, soient préférables à celui
d’une sage éducation?
Adieu, mon cher frere, pensez quelquefois à votre malheureux
ami, a la tendre amitié qu’il vous porte, à la douce satisfaction
que toujours il éprouvera en vous sachant heureux, et
recevez, ainsi que ma chère sÅ“ur, mes sincères embrassemens.
Le Cte de Beaujeu
P.S. Rappelez moi à notre sÅ“ur
Beaujette, que je plains de toute
mon à¢me.
P03/A.254, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le