Dans cette lettre rédigée vraisemblablement vers le 16 avril 1814, Franà§ois-Charles écrit à son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu résident au Canada. Il lui annonce qu’il désire répondre à sa lettre du 12 septembre 1809, car c’est la seule qu’il a reà§ue depuis son retour en France. Il mentionne que le roi Louis XVIII va remplacer Bonaparte à la tàªte du pays. à€ 57 ans, Franà§ois-Charles vit toujours des problèmes financiers et s’inquiète de l’héritage que son oncle Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil lui a laissé. Il donne également des nouvelles d’Amédée.
Activités économiques, organisation sociale, activités militaires
[Vers le 16 avril 1814][1]
Depuis trois ans[2], mon cher frere, je ne puis qu’aujourd’huy répondre à votre
lettre du douze septembre 1809. Elle est la seule que j’aye reà§ue de vous depuis
ma rentrée en France; et c’est avec la plus sensible peine que j’y lis la double
perte que nous avons faite de notre mere et de notre oncle.
C’est à la chutte du désolateur de l’Europe, du tyran de la France[3], que je dois
le plaisir de vous faire passer de mes nouvelles; l’auguste dinastie des Bourbons
vient enfin de reprendre ses droits, Louis 18 doit incessamment monter sur
le trà´ne de ses ancàªtres[4], et tout bon Franà§ois doit en rendre des actions de
grace à la divine providence. Mais ce moment tout heureux, tout consolant
qu’il soit pour mon cÅ“ur; ne peut encore changer ma cruelle éxistence, je me
trouve toujours sous le poids de la misère. à€ cinquante sept ans, ne jouissant
pas d’une bonne santé, puis-je reprendre la carriere militaire après surtout
l’avoir quittée depuis vingt deux ans? Il faut donc me tenir tranquille
en attendant le tombeau.
Bien persuadé, mon cher Saveuse, que vous repondrez à la confiance de notre
oncle dans la répartition de ses bienfaits; j’apprends avec plaisir qu’il vous
a passé mes droits[5]; mais je suis étonné qu’ayant de l’attachement pour
moi, il m’aye laissé une aussi faible marque de son souvenir, et que surtout
il ait revendiqué, deux cents livres sterling qu’il m’avoit fait passer lors de
mon départ d’Angleterre[6] . N’avois-je pas lieu d’espérer, qu’ayant été privé
depuis mon enfance d’une part des secours que me dévoient nos père et mère;
ainsi que des bienfaits que ce bon oncle ne céssoit de vous accorder, qu’il
auroit dumoins regardé la somme en question, comme un dédommagement
de l’abandon dans lequel il m’avoit laissé pendant des années? Il est, dites
vous, de la justice de reporter cet argent à la masse commune? J’y consens, mais
que celui que vous avez reà§u y soit donc aussi porté; la loi doit àªtre égalle[7].
Quoiqu’il en soit, mon ami, croyez bien que je ne descendrois pas à ces
pénibles observations s’il me restoit la moindre éxistence, et ce n’est qu’à
votre à¢me à qui j’en appelle. Voila sept ans que notre oncle est mort, et
je n’ai pas encore touché une obolle sur la pension que vous devez nous payer?
La succession de Mr de Longueil est, me dites vous, comptable de 5 520 £
provenant de celle de notre mère[8], eh bien, pourquoi ne me les faites vous pas
passer, sachant bien surtout mon affreuse position? Je joins une autre
observation à celles cy, votre projet est d’augmenter, d’améliorer les
seigneuries de Soulanges de Longueà¯l et autres[9]? Fort bien, mais les légataires
usufruitiers[10] du cinquieme du revenu net, ne doivent àªtre tenus que de leurs
portions dans les réparations usufruitiéres; autrement il dépendroit du
légataire universel d’absorber par des augmentations ou par de grosses
réparations, les revenus annuels et de rendre ainsi nulles, les dispositions
du testament en faveur des usufruitiers. Je vous avoue, mon cher frere,
qu’il me paroit par votre lettre, que notre oncle n’a voulu avoir que l’air de
me laisser quelque chose, mais que vous seul possédez tout. Car que signifie
cette clause, de rigueur, dites vous, que les pensions que vous devez a vos freres et
sÅ“urs ne peuvent àªtre payées, que lorsque les dettes seront liquidées[11]? Il
faut donc, à l’à¢ge o๠je suis, renoncer au bienfait qu’il sembloit m’avoir
accordé. Enfin, si vous avez quelque somme qui m’appartienne, faites
moi l’amitié de me la faire passer le plutà´t possible, ce sera donner un
morceau de pain à un malheureux qui n’en a pas.
Mon fils, est depuis huit ans au service. J’ignore depuis dix huit
mois le destin qu’il peut avoir éprouvé. Il s’etoit retiré à Dantziek
après l’affreuse défaite de Moskow[12], et je le crois prisonnier en Russie,
( si toutefois, la providence me l’a conservé ). Si je suis assez heureux
pour que cela soit, je trouverai sans doute, sous ce régime cy, plus de
moyens de le placer; dailleurs il est très bon sujet, plein de sentimens
de courage, et d’honneur, et connoissant la tendresse qu’il porte à tous
les siens, je puis, quoiqu’en son absence, vous assurer ainsi que toute sa famille,
de son respectueux attachement.
Veuillez, mon cher frere, me rappeller au souvenir de votre epouse[13],
embrasser votre petite famille pour moi et croire a jamais à mon
inviolable amitié.
De Beaujeu.
P.S. Ne m’oubliez pas auprès du chevalier et de mes sÅ“urs, parlez
moi d’eux, dites moi si ce bon frere est rentré au service.
Voila mon adresse. Chez Mr Périer ancien Notaire
Rue de Vendà´me No 3 au Marais.
à€ Paris[14]
Si vous avez conservé l’autre adresse, vous
verrez par celle cy, qu’il a changé de
logement, et que ce n’est point une erreur
de ma part.
P03/A.245, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le