Franà§ois-Charles écrit de Paris à son oncle maternel Joseph-Dominique-Emmanuel de Longueuil qui habite au Canada. Il lui confirme avoir bien reà§u une lettre de lui, la première depuis qu’il vit en France. Il lui parle à nouveau de son mariage prochain avec Élisabeth de Bongars, qui est retardé, car son futur beau-père est toujours à St-Domingue. Il lui annonce que sa future épouse est très convoitée à la cour, que sa future belle-mère l’a aidé financièrement et qu’il a été nommé capitaine de remplacement au régiment des Vosges. Franà§ois-Charles souhaiterait que ses deux frères passent en France, mais n’a pas les moyens de les entretenir; c’est pourquoi il demande l’aide financière de son oncle pour l’aider à réaliser ce projet.
Organisation sociale, activités militaires
Paris ce 10 avril [1786][1]
Mon très cher oncle
Voilà la première lettre que je reà§ois de vous depuis que
je suis en France;[2] jugez du plaisir indicible que
j’ai trouvé à la lire, surtout en y voyant que vous
m’aimez encore? J’ai crains, à vous dire vrai, qu’on
ne m’eut déservis auprès de vous, c’eut été très
malheureux pour moi, ayant icy le sufrage de
toutes les personnes qui me connoissent, et surtout
de Mr de Vergennes[3] qui me veut le plus grand
bien.
Je désirerois beaucoup pouvoir vous annoncer le mariage
dont je vous avois parlé, mais le père n’est pas
encore en France; et on ne l’attend qu’à la fin de
may. J’espère que mon sort sera décidé dans
le courant de cette année, si toutefois le père
aprouve les projets de la mère et de la fille;[4]
qui plus que jamais désirent cette union.
Mr de Vergennes fera beaucoup dans cette
affaire; il m’a promis de m’aider de tout son
crédit auprès du père, et de me faire avoir
une place de colonel en second.[5] Tout cela sera bien
beau, si je réussis! Mais il faut m’attendre
aux peines que j’aurai pour parvenir à mon
but, car la jeune personne sera demandée par
plusieurs personnes de la cour, mais de son cà´té;
je suis certain de mon fait, ainsi que de celui
de la mère. Je suis depuis quatre ans toujours
auprès d’eux,[6] ils ont vu ma conduite, qui ne s’est
pas démentie d’une minute; et ce sont tellement
faits à ma société; qu’ils leur seroit | me disent
ils | impossible de s’en priver.
Je vous dirai, mon cher oncle, que je n’ai reà§u
aucun secours de ma famille depuis mon
retour de St Domingue; mon oncle l’abbé[7]
ne peut me rien donner. Les autres parents
se sont excusés, de sorte que je me suis trouvé
au milieu de Paris, sans secours, et sans sà§avoir
d’o๠en tirer. Enfin Madame la Présidente
de Bongars,[8] chez laquelle j’allois alors, et
qui connoissait ma position; en a été touchée
m’a offert sa bourse, ses services, m’a fait
rester en France, en m’achettant pour sept mille
livres, une réforme à la suite du Regt du
Roy Dragons, que Mr de Vergennes m’a fait
avoir dans ce tems;[9] je suis passé depuis captne
de remplacement dans le Regt des chasseurs des
Vosges;[10] o๠je suis actuellement en attendant mieux.
Mme de Bongars, comme vous voyez, s’est
retranchée de tout, pour pouvoir me soutenir, mais
ce moment cy est le plus cruel, Le mari arrive,
elle ne veut point faire de dettes, et comment
pourra-t-elle m’aider, n’ayant plus les ràªnnes
de sa maison? Nous sommes tous fort
embarassés, on le seroit à moins. Cependant je
ne perds pas courage; j’aurai bien des peines
mais aussi, j’en serai dédomagé au centuple,
si j’ai le bonheur de réussir? Mlle de Bongars
est on ne peut pas plus aimable, très grande
musicienne, d’une figure séduisante, Sans àªtre
une beauté, et par-dessus tout un caractère
comme on n’en trouve pas, surtout dans la ville
que nous habitons. Elle n’a que dix huit ans,
et feroit honte par sa raison à bien des
femmes de quarante. Sa fortune qui est une
de ses moindres qualités, sera un jour de plus
cinquante mille livres de rente, mais
elle n’aura que seize mille livres de rente en
mariage, étant la quatrième;[11] et le père et la
mère ne voulant pas se désaisir de leur bien.
La mère me fait espérer que nous vivrons
toujours auprès d’elle, ce qui nous sera fort
avantageux. Voila ma position, elle peut de-
venir superbe, comme elle peut devenir
bien affreuse!
Je voudrois bien, mon cher oncle, avoir mes
frères auprès de moi, mais le moyen, n’ayant
rien encore à ma disposition? Six cens livres
que voulez bien faire pour les deux,[12]
ne sufiront pas pour les soutenir; tout étant
augmenté du double, depuis votre départ.
ils sont bien d’à¢ge cependant de passer en
France;[13] et d’àªtre placé, mais je ne puis faire
ce que je voudrois, ni suivre les mouvemens de
mon cœur? Voyez, mon cher oncle, si vous
pouvez faire un plus grand sacrifice, vous
àªtes notre père, nous vous devons tous,
accomplissez votre ouvrage, et voyez vos enfans
heureux?
Je suis bien dans la passe de les faire
placer, mais il faudroit garder Saveuse[14]
auprès de moi et lui donner des maitres,
et ces Messieurs là sont très chers dans
ce paà¯s cy. Je suis bien embarassé, je
suis combattu par la tendresse de mon
à¢me et par l’impossibilité o๠me
réduit ma misère. Vous seul pouvez
leur rendre service, le moment est
pressant, Ah! vous n’aurez point à faire
à des ingrats, et nous bénirons tous
votre bonté pour nous.
Veuillez de grà¢ce, mon cher oncle,
présenter mon homage respectueux à ma
très chère tante, la remercier de tout
ce qu’elle veut bien faire pour nous. Je lui
souhaite une bonne santé, ainsi
qu’à vous et vous supplie de croire
l’un et l’autre, aux sentimens tendres
et reconnoissants avec lesquels
je suis
Mon très cher oncle
Votre très humble et
très obéissant serviteur
et neveu
Le Cte de Beaujeu
Mettez mon adresse chez Mr le Cte
de Vergennes ministre et secrétaire
d’État au département des affaires
étrangères en cour.
P.S. Mon oncle[7] me charge de vous dire mille choses agréables, ainsi
qu’à ma chère tante. Mes prétendus beaux frères se nomment
l’un le marquis de Broc, et l’autre le marquis de Massiac,
tous deux très riches.[15]
P03/A.208, A.210, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le