Franà§ois-Charles écrit à son neveu Georges-René de Beaujeu, habitant au Canada. Il est heureux d’apprendre que le couple vient d’avoir un garà§on et répond aux questions de Georges-René sur les titres de noblesse familiale. Il ajoute que sa situation est toujours précaire et qu’il ne peut plus compter sur les Sulpiciens pour faire transiter ses fonds en France.
Organisation sociale, activités militaires, réalités politiques
Chamant près Senlis le 7 juin 1835.
La réception de ta lettre, mon cher George, m’a fait d’autant
plus de plaisir, que ton silence me faisait craindre un entier
oubli de la part d’un neveu qui sait que je lui porte tous les
sentimens du plus tendre des pères. Mais je passe outre, et je
ne veux m’occupper que de l’assurance que tu me donnes de ta
constante amitié.
Te voila donc pere d’un beau fils[1]? Je t’en félicite de tout mon cÅ“ur,
sans oublier cette jeune compagne qui t’a fait ce joli présent, bien
digne de resserer plus que jamais l’aimable lien qui vous a réunis.
Je vois déja ta sollicitude paternelle dans la démarche que tu me fais;
oui, tu as toutes raisons de chercher une place qui te retire de
l’isolement de la campagne; profite de tes jeunes années, ne va pas
les dépenser dans l’oubli; l’à¢ge des réflexions nous en fait repentir,
mais il est trop tard. Je voudrais àªtre à màªme de te satisfaire, en te
donnant les renseignemens que tu me demandes; et surtout des
titres à l’appui. En vérité, mon ami, c’est vouloir obtenir du capitaine
d’un navire nauffragé, les objets qui composaient sa cargaison? Ah!
ne sais-tu pas que l’affreuse tempàªte de 1790, a non seulement
englouti la fortune qu’un mariage venait de me donner, mais encore
tous mes papiers de famille, et ne m’a laissé de tout cela, qu’un
triste souvenir et la plus misérable vie[2]! Non, le titre de comte que
je porte, ne nous est pas héréditaire, il ne me fut accordé tacitement
par Louis Seize, à l’époque o๠j’eus l’honneur de lui àªtre présenté
comme chargé par Mr. Lapérouse, d’apporter à sa majesté
la nouvelle de la reddition des forts anglais situés à la Baye
d’Hudson[3]; et comme alors, toutes les lettres qui me furent adressées
tant par le ministre de la Marine que par ceux de la Guerre et
des Affaires etrangéres, je me crus autorisé à prendre ce titre[4]. Enfin,
à la restauration il me fut conservé sur mon brevet de
colonel et sur celui de chevalier de St. Louis. Voila, mon cher,
George, tous les renseignemens que je puis te donner.
Qu’il te suffise, puisque la providence l’a voulu, de savoir que
nous sortons d’une famille noble, ancienne, toute militaire,
et toujours fidèle et zélée pour ses rois légitimes; ton viel
oncle, en a donné une derniere preuve en suivant le malheureux
sort de ses princes[5]. La famille des Longueuà¯l à qui tu
appartiens; n’a pas moins mérité de ses souverains dans
les postes distingués qu’ils ont occuppés soit dans les armées,
soit dans la marine[6]. Va donc, ta jeunesse te donne de l’avenir,
sache en profiter. Quant à moi, je vois l’heure qui va sonner
o๠je devrai te laisser mon poste de chef de famille, mais il
m’est bien doux de savoir, que c’est l’honneur qui l’occuppera.
Permets moi maintenant de te parler de l’affreux dénà»ment
o๠me jette le retard que j’eprouve dans l’envoi que ta mère
m’avait annoncé pour le mois de mars? Mr Carriere directeur
au séminaire de St Sulpice, auquel j’ai fait part de cet
annonce, m’a répondu qu’il ne pourrait faire face à la demande
du supérieur du séminaire ( en Canada ). Je me suis donc empràªssé
d’écrire à ma sÅ“ur[7] pour la supplier de prendre le plutà´t possible,
des occasions ou des voies plus sà»res afin de me tirer de
l’embarras o๠je me trouve à l’égard de mes fournisseurs qui,
s’attendaient à leur rembourcement. J’espère, mon ami, que tu
te réuniras à ta mère, pour l’engager à prendre, à l’avenir,
d’autres correspondans.
Je ne me serais jamais attendu à ce que tu me mandes
de ta sÅ“ur. Je m’étais fait une plus haute idée de la noblesse
de son à¢me. Je te plains mon ami, et ta respectable mère,
d’àªtre aussi mal entourés[8]!
Adieu, mon cher George, offre mes tendres et bien tendres amitiés
à ta femme, rappelle moi au souvenir de ta mère, et reà§ois pour
toi, et pour elles d’eux, les sentimens les plus devoués, de la
part de ma compagne.
Toujours à toi, ton oncle,
Le Cte de Beaujeu.
P.S.
Embrasse ma bonne sœur
Beaujette pour moi.
L’abbé de Beaujeu, était le frère cadet
de mon père. Il est mort au séminaire, mais plutà´t a la
communauté de St Sulpice, regardé et respecté comme
un saint pràªtre, pour moi, je le regarde comme saint[9].
P03/A.285, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le