Lettre d’Emery Lalonde à ses parents, Emery Lalonde et Marie-Claire-Louise Prévost

Collège de Montréal 3e mars 1868

Bien chers parents,

Tout ce qu’on le désire
fortement, on le demande ardemment. Vous
pouvez en juger d’après le nombre de mes lettres.
Ce que je désire fortement, bien chers parents, c’est de
faire un zouave pontifical, un soldat du
Christ et mourir s’il le faut martyr de ma foi.
Ah! qu’il est beau le combat du Seigneur.
Qu’elle est belle la cause de la Religion et des
âmes. Ah! oui, chers parents, je suis forte-
ment convaincu qu’être zouave pontifical est
ma vocation. Je n’ai pas agi sans réflexion,
bien chers parents. Depuis longtemps le germe de
cette pensée s’échauffait en moi; et enfin il a
produit son fruit. J’ai consulté mon confesseur.

Je lui ai exposé mes raisons et il m’a
répondu : « C’est votre place, vous devez y aller
pour votre salut. C’est la volonté de Dieu. »
Et alors je me suis dit « Que votre volonté soit faite. »
Je dois être zouave pontifical, je le désire.
Vous souvient-il de cette bénédiction que j’ai
reçu il y a trois ans de ce bon oncle Hyacinthe.
Vous souvient-il de ses paroles qu’il m’a dites :
« Je prierai pour toi là haut. » Ah! c’est sans
doute par l’effort de ses prières que Dieu a voulu
m’inspirer cette pensée pour mon salut éternel.
Ah! bien cher oncle, unissez vos puissantes
prières aux miennes pour que mes parents
aient la force de supporter ce sacrifice, et m’ac-
cordent la permission de me donner corps et âme
à l’Église, ma mère. Sans doute il en coûte
beaucoup aux parents de laisser partir leurs enfants. Ils aiment
tant leurs enfants. Mais rappelez-vous que la Terre
est un lieu de douleur, de peine et de sacrifice.

Aussi n’est-ce que par ses trois choses que nous pouvons
arriver au ciel, la patrie, le lieu de toute félicité.
Et n’allez pas croire qu’en allant à Rome, je ne
m’impose pas de sacrifices. Je laisse la patrie, mes
bons parents, mon père, ma mère, mes frères et
mes sœurs, mes amis, etc. Mais mon sacrifice
est fait. Dieu m’appelle à Rome. Que sa
sainte volonté soit faite.
Je ne vois pas d’opposition réelle à ce projet.
Toutes les objections que vous auriez pu me faire, je
les ai toutes résolues. Je ne vois qu’une seule
opposition. Ce n’est que vous ne pouvez vous
résoudre au sacrifice de votre enfant.
Dieu veut que j’aille à Rome. J’en suis
profondément convaincu. Dieu est mon père,
je dois satisfaire au moindre de ses désirs. Il est
aussi votre père. Vous devez satisfaire à son désir.
Eh! bien laissez-moi donc aller à Rome,
si vous aimez votre Dieu, si vous aimez votre père.

Ah! je vous en conjure, bien chers parents,
je vous demande en grâce. Laissez-moi aller
à Rome. Laissez-moi me faire zouave pontifical.
Que vote amour pour votre fils s’efface devant votre amour pour
Dieu. Lui seul doit être aimé et vous devez
m’aimer pour lui et en lui.
Je vous attends chaque jour, et tous les jours se
passent et je ne vous vois pas, mais j’espère que
vous viendrez aussitôt que vous le pourrez pour me
donner cette permission. Ou bien vous pouvez
m’écrire, mais j’aimerais mieux vous voir.
En finissant. Ainsi donc je vous verrai
bientôt et nous réglerons cela. J’espère que vous
peserez au poids de la justice toutes mes raisons.
Vous craignez peut-être pour moi; mais si je
meurs sur le champ de bataille, je ne craindrai
rien, je serai prêt. En attendant que je vous
vois, je vous embrasse de tout mon cœur.
Venez au plus tôt.

Votre fils qui vous aime,

E. Lalonde
Collège de Montréal