Franà§ois-Charles écrit du 9 Fenchurch Street, Billiter Square, Londres, à son oncle Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil habitant au Canada. Il mentionne ne pas avoir reà§u de ses nouvelles sans doute à cause des vaisseaux pris sur les cà´tes d’Irlande. Il lui parle de ses ràªves d’àªtre un jour réuni à sa famille en Canada, mais que pour le moment, il attend que la situation à St-Domingue se clarifie. Depuis trois ans, il ne reà§oit plus sa pension sur ses biens de St-Domingue et il est réduit à vivre au jour le jour.
Activités économiques, réalités politiques, moyen de transport
Londres ce premier avril 1797
Mon cher oncle
J’aurois bien lieu d’àªtre étonné de votre silence et de
celui de toute ma famille, si, comme je vous l’ai mandé
dans une lettre que je vous ai écrite au mois de décembre,
il n’y avoient pas eu des vaisseaux venant du Canada,
pris à cette époque sur les cà´tes d’Irlande[1].
Cependant je vous l’avoà¼erai, je serai dans un doute
bien cruel pour ma sensibilité, jusqu’au moment oà¹
je serai assez heureux pour recevoir la nouvelle certitude
de votre amitié.
Malgré mes malheurs, mon cher oncle, et au milieu de
la misère la plus affreuse, il est encore des moments
lucides des instants d’une douce illusion pour moi. Je
me vois réuni a tout ce qui m’est cher, à des parens que
sans àªtre assez heureux pour connoitre, la nature seule
me fait un devoir impérieux d’aimer. Mais cette illusion,
ainsi que toutes celles qui chasseront les peines de notre
vie, se dissipe bientà´t, et ne sert qu’a me faire envisager
avec plus de dépit plus d’horreur encore les barrières
invincibles pour ce moment, qui me separe des miens
et me prive d’un raprochement qui seroit pour mon
ame la plus heureuse époque de ma vie.
Les affaires d’Europe vont toujours de plus mal en
plus mal, celles de St Domingue quoi qu’un
peu meilleures, ne nous offrent point encore une certitude
de bonheur[2]. Voilà pourtant la seule raison, à laquelle
je sacrifie mes plus chers sentimens, et je me
reprocherois toute ma vie d’avoir abandonné au pillage
la fortune de mon fils, pour me soustraire une
année plutà´t a mes peines. Elles sont cependant
bien réelles, mon cher oncle, car sans le secours
d’un Anglois de mes amis, j’aurois été trainé en prison
pour cent louà¯s de dettes contractées depuis trois
ans que je n’ai plus de pension sur mes biens de
St Domingue. Je suis réduit au plus cruel des
embarras, mon fils et moi nous vivons au jour
la journée, a peine est-il vàªtu ainsi que moi, il est
presque toujours malade, suite inséparable de la
mauvaise nourriture que nous prenons, que je
supporte mieux que lui, mon tempérament étant
fait. Enfin, mon cher oncle, si vous pouvez me
porter quelques secours; veuillez de grà¢ce ne pas
tarder, car chaque jour accumule mes dettes
et chaque jour détruit la santé de mon pauvre
enfant.
Il est tourmenté par un rhume si violent dans ce
moment cy qu’il sera privé du plaisir de se rappeller
a votre souvenir, a celui de sa chère tante, il vous
offre a l’un et a l’autre son respectueux attachement.
Veuillez, mon cher oncle, parler de moi a mes
freres, je leur écrirai par les premiers vaisseaux[3].
je ne le puis dans ce moment, je n’ai qu’un
instant, et ils ne trouveront pas mauvais que je
l’employe a écrire a mon pere et à ma mere.
Trouvez bon que mon aimable tante reà§oive icy
l’assurance de ma respectueuse et tendre affection
et vous, daignez agréer de nouveaux les sentimens
que doit avoir le plus tendre des neveux pour le
méilleur des oncles.
Je suis avec le plus profond respect
Mon très cher oncle
Votre trés humble et très
obéissant serviteur et neveu.
De Beaujeu
P.S. Voilà mon adresse.
Mr Brickwood Pattle & Billiter Square
No 9 Fenchurch Street.
P03/A.218, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le