Louise Bénédicte Bongars de Vaudeleau écrit à sa belle-sÅ“ur Catherine Chaussegros de Léry habitant au Canada. Elle revient sur les événements des derniers mois et sur sa situation financière précaire. Georges-René lui demande copie des titres, brevets et testament de Franà§ois-Charles.
Organisation sociale, réalités politiques, réalités économiques
Senlis ce 17 may 1846
Ma chère sÅ“ur,
C’est encore avec vous que je veux m’entretenir, car
votre à¢me sensible, comprend mieux ma douleur que
ceux, qui n’ont jamais connu le chagrin. Je vous
ai écrit il y a 15 jours[1] pour vous dire combien
j’etois tourmentée de ne point recevoir de vos nouvélles,
après 4 mois, du plus affreux malheur qui ait
jamais écrasé ma foible éxistence; et je métois
ma consolation dans l’éspoir de recevoir de vous
un regràªt pour l’àªtre qui vous aimoit tant, et dont
le dernier souvenir a été pour benir le secour
que vous accordiez a sa souffrante viéllesse. Sans
vous, sans votre tendre générosité, auroit-il pà», ayant
tout perdu, satisfaire au besoins absolus que reclamoient
ses infirmités. Depuis plus d’un an, pouvant à peine
quitter son lit, trois personnes, et moi bien foible
n’étoient occupées, que pour adoucir ses souffrances.
Il faloit nourrir, et payer toutes les avides sangsues
et son plus grand tourment en quittant la vie,
a été de me laisser sans ressource. Car tout perissoit
avec lui, puisqu’il n’avoit aucune propriété, que la
pension viagére, comme ancien millitaire, et ce que
vous lui envoyez chaque année, quand à moi, j’avois
perdu, à la révolution de 1830, une pension de 1000 f. que
le Roi m’avoit accordé à ma naissance,comme ayant
l’honneur d’àªtre sa filleule. Il ne me reste donc plus
rien, que la bienfaisance d’un Anglais[2], qui connoissoit
notre triste sort, et qui en mourant il y a 3 ans
nous a légués, une rente de 1000, f. au dernier survivant.
Croyez vous, ma chere sœur, que 1000 f. puisse
suffire à une femme de 75 ans, souffrante et
prèsque infirme; de plus j’ai un reste de bail de
la maison, qu’il occupoit, tous les frais d’une longue
maladie; et j’ai payé pour les funérailles, près
de 800, f. Car malgré ma misère j’ai éxigé
que tout (jusqu’au foible monument qui couvre sa
chere, dépouille, et la place que j’ai acheté près
de lui) fut éxécuté, selon mes pauvres moyens[3].
Les autorités de Senlis ont secondé les vÅ“ux de
mon cÅ“ur, ce sont elles qui se sont chargées de ce
que ma pauvre tàªte, pouvoit à peine éxprimer dans
ce cruéle moment. Je joint icy, ma sÅ“ur, leurs noms,
leurs adrésses, vous pourez par eux vous instruire s’il
ne connoisse pas tout ce que je vous confie de ma
triste position. Je n’en rougis pas, j’espère que Dieu
soutiendra jusqu'à la fin le courage qu’il m’a donné
jusqu’icy. La triste veuve d’un si brave, et si
respéctable époux, poura mourir abandonnée, mais
elle soutiendra son malheur, par la certitude d’avoir
rempli envers lui tous ses devoirs.
Je reà§ois dans l’instant, ma pauvre sÅ“ur, une lettre
de votre fils, je ne puis lui répondre aujourd’hui je
suis trop foible. Dites lui en attendant ma réponse
que les copies qu’il me demande des titres et
brevàªts de son oncle[4], me couteroit trop de frais
j’en ai déjà malheureusement trop payé, quand à
son testament, il se borne a une simple donation
mutuéle entre nous deux, au dernier vivant. Il
ne comprend aucun legs, et fut fait, en 1828
lors de notre mariage. J’ai donc hérité du
mobilier seulement car il ne me réste que
quelques déttes, que j’espére payer peu a peu
notament le médecin qui pour moi y met beaucoup
de délicatesse.
Adieu, ma chère, sÅ“ur donnez moi de vos nouvélles
vous màªme, un seul mot de votre main, me
fera du bien, j’y tiens beaucoup, car votre
pauvre frère, me parlois sans cèsse de vous, et
désirois, que vous ne m’oubliez pas.
Je vous embrasse de tout mon cœur, et
serai toujours
Votre affectionnée sÅ“ur
et amie
La Ctesse de Beaujeu
Dites moi si la vielle sœur
de mon pauvre ami éxiste encore
P03/A.298, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le