6 janvier 1831 : Lettre de Franà§ois-Charles à  Saveuse

Résumé de la lettre

Franà§ois-Charles écrit à  son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu, habitant au Canada. Il reproche à  Saveuse de ne pas répondre à  ses lettres et de ne pas lui faire parvenir l’argent de son héritage. Il ajoute que l’argent que Saveuse lui a envoyé en avril par l’entremise de monsieur Thavenet n’était pas suffisant pour payer ses dettes qui se montent à  4000 francs. Louise-Bénédicte, la femme de Franà§ois-Charles, s’est fait retirer sa pension et il est seul à  en percevoir encore une. Ils n’ont plus de domestique et les créanciers sont après eux.

Mots clés

Organisation sociale, activités économiques

Transcription


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Lettre du 6 janvier 1831, page 1

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Chamant ce 6 janvier 1831.

Il semble, mon cher frère, que ce titre que nous a donné la nature,
ne soit rien pour ton cœur, du moins la conduite froide et peu
fraternelle que tu tiens à  mon egard, me donnerait tout lieu de le
penser, si tu n’avais dans mon à¢me (pour rejetter une telle
idée) le sentiment que toujours elle t’a porté. Mais dis le moi,
plus cette affection est profonde, inaltérable en moi; plus je
dois aussi m’étonner de l’espèce d’insouscience avec laquelle
tu lis l’exposé de mes peines. Ma femme t’a écrit au mois
de janvier l’année derniere pour implorer ton secours[1]; et sa
priere a été sans réponse! Trois lettres de moi[2] n’ont pà»
réussir à  t’engager à  me tendre une main protectrice; car en
effet ce que tu m’as envoyé au mois d’avril dernier (par
l’entremise de Mr Thavenet[3])ne pouvait éteindre une dette
de quatre mille francs, sous le poids de laquelle je suis toujours
écrasé, et dont je ne puis me libérer, si je ne trouve en toi, le frère
que la providence semble cependant opposer au malheur qui
m’accable. Non, mon ami, si tu étais témoin de l’età¢t auquel
nous sommes réduits ma femme et moi; non dis-je je ne puis
croire que tu balances un seul instant à  prendre tous les
moyens possibles pour nous tirer de la souffrance et de l’affreuse
misère o๠cette derniere révolution vient encore de mettre le
comble, en enlevant à  ma femme sa pension de mille francs[4].
Il ne nous reste donc que la mienne de onze cents soixante et
dix[5], pour payer quatre cents francs de loyer, se nourrir, se


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Lettre du 6 janvier 1831, page 2

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vàªtir, et appaiser des créanciers qui me menacent chaque jour
des huissiers et dont l’un d’eux, entre autres m’a forcé de lui
faire un billet de douze cents francs payable en avril.

Nous n’avons plus de domestiques et nous nous servons nous-màªmes
ayant a peine dans cette saison rigoureuse, quelques morceaux de
bois pour nous réchauffer les doigts, car on le paye 44#
la corde[6]. Enfin, mon ami, ajoute à  tant de souffrances, la dureté
de mon propriétaire qui m’a refusé de résilier mon bail, et me
force par conséquent a dépenser quatre cents francs quand je
me logerais pour moitié à  Senlis.

J’ai reà§u ta lettre derniere au mois de xbre[7] dans laquelle
tu me mandes que par le màªme courier, tu écris à  Mr Thavenet
pour le prier de me compter une somme de douze cents francs.
Eh bien, mon ami, ce monsieur (qui je crois n’est plus en France)
a mandé à  Mr Carriere directeur du séminaire de St Sulpice[8]
qu’il n’avait plus de fonds à  faire passer en Canada. Ainsi
donc ce léger secours qui nous aurait aidés dans cet affreux
moment, n’est plus pour nous qu’un vain songe!

Ah! de grace, mon frère, pénàªtre toi de nos maux, viens à  notre
secours, ne permets pas que je termine ma carriere sous les
verroux d’une prison. Prends ma pension toute entiere, pourvu
que tu me fasses passer les quatre mille francs, sans les
quels je ne pourrai jamais m’affranchir de mes dettes.


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Lettre du 6 janvier 1831, page 3

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Encore une fois, mon ami, mon frère, ecoute ma priere, ne
me laisse pas terminer ma vie dans les pleurs et le désespoir?

Adieu, reà§ois mes vÅ“ux et présente nos tendres amitiés à  toute
ta famille

Tout à  toi, ton frère

Le Cte de Beaujeu.


P03/A.276, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le

Notes

  1. Voir la lettre que Louise Bénédicte a écrite à  Saveuse datée du 1 janvier 1830.
  2. En plus de celle du 1 janvier, il y a eu celle du 7 juillet 1830 et du 23 septembre 1830.
  3. Il s’agit de Jean-Baptiste Thavenet, sulpicien né le 2 septembre 1763 en France et décédé le 16 décembre 1844 à  Rome. Pendant la Révolution, il refusa de pràªter serment à  la Constitution civile du clergé et choisit de s’exiler à  Londres. Le 4 juin 1794, il fut autorisé à  se rendre au Canada en compagnie de dix autres sulpiciens. Il résidera dans ce pays jusqu’en 1815 avant de repasser en France. Thavenet devient alors le représentant financier de plusieurs communautés religieuses et un lobbyiste actif du séminaire de St-Sulpice à  Montréal. Il a écrit une lettre à  Saveuse le 16 mars 1830, lui confirmant avoir un montant de près de 1 955 francs de disponible pour Franà§ois-Charles.
  4. Suite à  la Révolution de juillet 1830, les pensionnaires se trouvant sur l'ancienne liste civile perdront leurs pensions. La notion de liste civile est apparue en France en 1790 sous le règne de Louis XVI. Elle comprenait une dotation attribuée par l'État au souverain pour les dépenses de sa maison, permettant de bien distinguer les dépenses de la couronne au sein du budget de l'État et une dotation immobilière et mobilière, constituée d'un ensemble de biens identifiés au sein du domaine de l'État. Louise Bénédicte était la filleule du Roi Louis XV et avait reà§u une pension de 400 francs sur la cassette du Roi avant la Révolution.
  5. C'est la pension de retraité militaire de Franà§ois-Charles qui n'avait pas été abolie.
  6. Coà»t de la vie en France à  cette époque.
  7. xbre = décembre 1830.
  8. Joseph Carrière fut le treizième supérieur du Séminaire et de la société de St-Sulpice. Il est né en 1795 en France et décédé à  Lyon en 1864.
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