Franà§ois-Charles écrit de Senlis à son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu habitant au Canada. Il remercie son frère pour son aide tout en lui expliquant qu’elle ne lui suffit pas à payer ses dettes. Il lui demande la possibilité de recevoir une somme fixe chaque année. La situation en France est toujours problématique et il se réjouit que sa famille en Canada vive mieux que lui. Il finit en lui disant envoyer un deuxième portrait.
Activités économiques, organisation sociale, réalités politiques
Senlis ce 1r avril 1819.
Combien je suis sensible, mon cher Saveuse, aux soins, que vous
prenez, aux sacrifices que vous faites pour alléger mes peines! Croyez
que j’y reconnois toute la sollicitude du plus vrai des amis, du plus
tendre des freres. Mais la misère a pàªse à un tel point sur ma
tàªte, que malgré le secours que vous m’avez envoyé l’année derniere, il ne
m’a pas été possible d’acquitter les engagemens, que le pillage des
Prussiens m’avoit forcé de contracter[1]. J’ai perdu, il y a près d’un an,
une place de douze cents francs que j’occuppois dans les foràªts
royales[2], et n’ai plus aujourd’huy d’autres ressources, que onze cents
cinquante livres[3]. Comment pourrois-je avec une aussi foible
éxistence, absorber deux mille francs de dettes qui me restent encore?
L’homme né dans la classe du peuple, n’ayant aucun rang, aucune
étiquette à garder; se loge, s’habille comme bon lui plait; mais
pour nous, ne sommes nous pas les esclaves des convenances[4]?
Ah! souvent, très souvent, je ne l’eprouve que trop; que de fois
je donne à l’apparence, ce que je refuse à mon éxistence physique!
Oui, mon ami, quand on est arrivé à ce point d’infortune, la vie
devient un supplice; la religion, l’entiere soumission aux décràªts
de l’Eternel, peuvent seules en faire supporter toute l’amertume[5].
J’ai perdu près de cent écus, sur les cent livres d’Halifax que
vous m’avez envoyées. Il me semble, mon ami, que si vous preniez
des arrangemens avec Mr Hart Logan[6] pour qu’il me donnat
chaque année le secours que votre amitié fraternelle me destine;
que non seulement cette somme seroit à l’abri d’un grand nombre
d’evàªnemens; mais encore n’eprouveroit point une perte aussi forte.
Nous sommes toujours sur le volcan. Dieu semble avoir
abandonné la France aux plus affreuses destinées. Les démons
de l’anarchie soulèvent encore une fois leurs hideuses tàªtes; et les
véritables amis de la patrie et du trà´ne, victimes de la plus noire
ingratitude, sont déplacés, languissent dans la misère, et n’ont
d’autres recompenses à recevoir de leurs services, qu’un insultant
oubli[7].
Que votre sort est heureux, mon ami, le comparant surtout au
mien! Je m’attends, à me voir encore sans pain, sans azile
errant de contrée en contrées, sans savoir o๠reposer ma tàªte.
Dieu veuille m’appeller à lui, avant un semblable malheur!
Au milieu de toutes mes peines, j’ai du moins la douce consolation
de vous savoir, mon cher Saveuse, à l’abri de la tempàªte dont je
suis le jouet depuis près de trente ans[8]; et je me plais à
penser que dans votre heureuse retraite, vous jouissez ainsi que
votre chère famille, d’une santé parfaite. Voila du moins, mon
ami, les vÅ“ux du plus attaché des frères.
Le Cte de Beaujeu.
P.S. J’embrasse de toute mon à¢me, votre
aimable compagne, vos chers enfants,
et ma bonne sœur Beaujette.
Je vous envoie une seconde copie de ma vieille figure, j’ai pris
toutes les précautions possibles pour qu’elle vous parvienne sans
àªtre alterée, j’en serois d’autant plus satisfait, que toutes les
personnes auxquelles je l’ai montrée, trouvent une parfaite
ressemblance avec l’original[9].
P03/A.256, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le
les démons de l'anarchie!