1 aoà»t 1807 : Lettre de Franà§ois-Charles à  Joseph-Dominique-Emmanuel

Résumé de la lettre

Franà§ois-Charles écrit de Paris à  son oncle maternel Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil, habitant au Canada. Il lui avoue n’avoir jamais été si malheureux depuis qu’il est retourné vivre en France. Ses affaires ne s’arrangent pas dans l’ancienne colonie franà§aise de St-Domingue qui est de nouveau en guerre. Cet état de chose contribue à  le priver de revenus et le plonge dans un état financier précaire qui le force à  demander la charité auprès de ses amis. Il annonce qu’Amédée s’est engagé dans l’armée de Napoléon Bonaparte et qu'il a survécu aux dernières campagnes de l’empereur.

Mots clés

Activités économiques, organisation sociale, réalités politiques

Transcription


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Lettre du 1 aoà»t 1807, page 1

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Paris ce 1r aout 1807

Mon cher oncle

Je n’ai jamais été plus malheureux que depuis ma
rentrée en France. La guerre qui alors vint culbuter
de nouveau St Domingue, me plongea dans la plus
éxcessive misère et nous nous vimes mon fils et moi
réduits à  la charité de nos amis[1]. Ce fut envain
que je cherchai a vous faire passer des lettres, et c’est
peut àªtre envain encore que je vous écris celle cy[2]. Que
la providence veuille vous la remettre et puisse-t-elle vous
trouver tous en bonne santé!

Je me plais a croire que ma chere maman, vit depuis
quelques années dans votre intérieur, que par conséquent
étant moins isolée, et plus apportée des secours d’un
bon frere, sa vie doit s’écouler dans une douce tranquillité.
Embrassez la pour moi tendrement cette bonne et respectable mere,
ainsi que pour son petit fils dont j’interpràªte les sentimens,
car nous sommes séparés depuis un an, il a pris
le parti des armes et vient de faire les dernieres
campagnes, mais il s’en est retiré heureusement, grace


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Lettre du 1 aoà»t 1807, page 2

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à  la providence. J’espère le revoir dans six semaines.
Jugez de la fàªte que je me fais, d’embrasser cet àªtre qui
m’est si cher? Il est entré dans un corps d’élite
attaché à  la garde de l’empéreur, ce corps s’appelle
gendarmes d’ordonnance[3]. On m’a rendu les meilleurs
comptes de lui, j’ai toujours à  m’applaudir de
l’education que j’ai faite, et tant au phisique qu’au
moral c’est un jeune homme parfait, sa taille étoit,
quand il m’a quitté, de huit grands pouces[4].

Comment se portent mes frères; il m’est doux de penser
qu’ils jouissent, ainsi que vous, mon oncle bien aimé,
d’une santé parfaite, qu’ils trouvent icy l’assurance
de sentimens vrais et inaltérables que toute ma vie
je leur porterai.

La paix que l’on vient de conclure entre la Russie et la
Prusse[5], nous donne lieu d’espérer qu’elle entrainera celle
de l’Angleterre, Dieu le veuille, ce seroit un grand bonheur
pour le monde, et pour les individus qui, comme moi,
sont assez malheureux pour voir entr’eux et leur famille,
l’immensité des mers. Ah! mon cher oncle, mes vieux
jours étoient destinés à  la plus affreuse infortune; me voila
sans pain, sans feu, ni lieux, la religion[6] seule soutient
mon courage, et mon pauvre fils m’attache à  la vie.


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Lettre du 1 aoà»t 1807, page 3

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Le peu de parens qui nous reste en France, les Foucault[7],
les Ligneris[8], les St Denis[9], sont tous ruinés, mais aucun
heureusement pour eux, n’est réduit comme moi, au
dernier période de l’infortune. Toutes mes anciennes
connoissances, ou se sont plus, ou n’ont pas les moyens
de me secourir. Je m’adresse donc encore à  vous, mon
oncle, mon pere, ne m’abandonnez pas, donnez à  votre
pauvre neveu aumoins du pain, car il est des jours
o๠màªme je n’en ai pas un morceau.

Je n’ai jamais pà» faire passer une seule lettre à  Mr
Brickwood votre négociant[10]. oooooooooooooooo
oooooooooooooooooooooooooooooooooooooooo
Si
jamais cette lettre vous parvient, je vous donne une adresse
qui malgré qu’elle ne soit pas la mienne; sera la plus
sure. à€ Mr. B… chez Mr. de Courteiller a chà¢teau
de Montomer, près Couilly à  Couilly département
de Seine et Marne, France[11].

Adieu, mon cher oncle, aimez moi toujours,
plaignez moi et veuillez agréer l’assurance du
respectueux et sincère attachement que j’eus et
que j’aurai toujours pour vous.

De Beaujeu.


P03/A.241, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le

Notes

  1. Le premier janvier 1804, la colonie franà§aise de St-Domingue devient Haà¯ti, république noire et indépendante. Cette indépendance n'est reconnue ni par la France, ni par les États-Unis. La quasi-totalité des grandes nations, sauf les États-Unis qui maintiendront leur refus, attendra la reconnaissance par la France
  2. La France et l’Angleterre étaient toujours impliquées dans les guerres napoléoniennes, ce qui perturbait grandement le courrier d’un continent à  l’autre.
  3. Le corps d’élite de gendarmes d’ordonnance n’eut qu’une brève existence. Créé en automne 1806, il sera dissout en octobre 1807. Selon une lettre de Napoléon Bonaparte au maréchal Kellermann, l’organisation du corps des gendarmes d’ordonnance n’est pas encore véritablement formée le 26 octobre 1806 quand Bonaparte lui envoie une liste de candidats fournie par son ministre de l’intérieur. Cette liste était composée en grande partie de fils d'aristocrates de l'ancien régime qui devaient défrayer 1900 francs pour s'armer et s'équiper, et devaient bénéficier d'une rente annuelle de 600 francs pour assurer leurs frais, en plus d'àªtre à¢gé d'au moins 18 ans. Amédée est né en septembre 1788, il avait donc 18 ans à  son entrée dans les gendarmes d'ordonnance. Il nous est impossible de savoir à  quelle bataille de la campagne de Pologne Amédée a participé, mais nous pouvons affirmer qu'il n'était pas présent à  Iéna le 14 octobre 1806 puisque le corps des gendarmes d'ordonnance n'était pas encore organisé.
  4. Nos recherches ne nous ont pas permis de comprendre ce que sont huit grands pouces.
  5. Le 7 juillet 1807, la France signait le premier traité de Tilsit qui instaurait la paix entre la France et la Russie. Un second traité sera signé le 9 juillet 1807.
  6. Catholique romaine.
  7. Il s'agit de Denis-Nicolas Foucault et son épouse, Marie-Louise de Beaujeu.
  8. Sans doute Constant-Franà§ois-Daniel Le Marchand de Lignery et sa famille.
  9. La famille St-Denis est apparentée à  Franà§ois-Charles par sa grand-mère paternelle, Thérèse Migeon, qui avait épousé en première noce Charles Juchereau de St-Denis de Beaumarchais.
  10. Il s'agit du financier londonien de la Maison Brickwood Pattle et Cie de Londres avec lequel transige JDE.
  11. Se trouve à  environ 45 km à  l'est de Paris.
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